Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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L’encyclique Loué sois-tu constitue une belle concrétisation de l’invitation lancée il y a 50 ans par le Pape Paul VI à devenir une « Eglise qui se fait conversation ».

Cette encyclique se situe, autant au niveau de la forme que du contenu, en dialogue avec le monde.

La notion de « maison commune » est centrale dans l’encyclique du pape François.

Cette maison est un don gratuit de Dieu et nous sommes appelés à l’habiter, c’est-à-dire à la faire devenir un lieu de vie pour tous les êtres vivants qui la composent.

Nous reprenons ici de manière plus développée les axes pointés dans l’édito comme piliers de cette maison commune.

Au niveau de la forme, trois éléments rendent compte de manière très particulière de cette mise en dialogue. Premièrement, le langage utilisé par le pape se différencie bien du « jargon » propre aux documents d’Eglise. Le pape parle comme tout le monde, avec des mots et des expressions qui rendent son discours accessible au-delà des frontières de l’Eglise. Depuis Pacem in Terris, les encycliques s’adressent à « tous les hommes de bonne volonté ».

Mais on peut dire que c’est la première fois que le langage utilisé dans une encyclique leur est vraiment accessible. Ensuite, la structure du texte prend la forme d’un dialogue entre l’Eglise et le monde, alternant de manière progressive les chapitres qui parlent du monde et ceux qui font référence à la tradition chrétienne. Un aller-retour continu entre les questions sociétales et les références bibliques et ecclésiales rythme le document. Enfin, le pape cite un nombre très important de travaux réalisés par des conférences épiscopales de pays différents. Sa pensée est bien celle de l’Eglise universelle, nourrie de la réflexion des églises locales, insérées dans des réalités historiques et géographiques diverses. Et ces références concernent également les autres confessions chrétiennes, inscrivant ainsi l’encyclique dans un dialogue œcuménique.

 

Au niveau du contenu, on peut dire également que la posture dialogique est centrale. En écho aux traits soulignés dans l’édito, nous reprenons ici trois dimensions qui apparaissent comme centrales dans le document. Premièrement, au niveau anthropologique, la nature relationnelle de l’humain est ici élargie à toute la création. Ensuite, au niveau sociétal, le progrès est redéfini en termes d’écologie intégrale. Enfin, au niveau spirituel, le souci pour la terre est associé à une véritable démarche de conversion.

 

Une pensée anthropologique : tout est lié

 

Ce leitmotiv, qui revient souvent dans l’encyclique, résume la prise en compte de la complexité par le pape François. La première conséquence de ces liens multiformes est une anthropologie radicalement repensée. « Créés par le même Père, nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle » (n°89). L’être humain est relié à la nature dans son essence même, et cela est voulu par Dieu. L’Amour s’étend à toute la création, chaque créature est désirée par Dieu. « Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu » (n°84) et chaque créature révèle une parcelle de la bonté de Dieu. Mais aussi « le sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur de la tendresse, de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains » (n°91). C’est pourquoi une des lignes de force de l’encyclique est de montrer que l’engagement pour la sauvegarde de la Création et la lutte contre la pauvreté et les inégalités sont deux faces d’un même enjeu : celui d’une Terre et d’une humanité conformes au désir de leur Créateur. Car « la dégradation de l’environnement et celle de la société affectent d’une manière spéciale les plus faibles » (n°48). Les pauvres sont les premières victimes des dérèglements climatiques. Pour le pape François, « il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale » (n° 139).

Rarement sans doute les enjeux environnementaux n’auront été autant liés aux enjeux sociaux : « Une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (n° 49). Il s’agit là d’une cohérence fondamentale, qui va réjouir nombre de militants et d’acteurs associatifs. Cette demande de cohérence et d’approche intégrale rejoint l’appel des Nations Unies dans le cadre du texte sur les Objectifs de Développement Durable, qui reconnaît l’éradication de la grande pauvreté comme indispensable pour permettre un développement durable. Le pape appelle à une nouvelle anthropologie. Il s’agit de penser l’homme dans sa relation aux autres et à la nature. L’homme doit se comporter comme un « administrateur responsable » de la création (n°116), rejoignant ainsi la notion de stewardship développée par plusieurs courants écologiques. Prendre soin de la Terre. Pour autant, il n’est pas souhaitable de remplacer l’anthropocentrisme par un bio centrisme. L’être humain a une dignité spécifique qu’il serait dangereux de nier. « Quand la pensée chrétienne revendique une valeur particulière pour l’être humain supérieure à celle des autres créatures, cela donne lieu à une valorisation de chaque personne humaine, et entraîne la reconnaissance de l’autre » (n°119). Tout est lié.

 

Une visée sociétale : l’écologie intégrale

 

Pour le pape François, « un anthropocentrisme dévié donne lieu à un style de vie dévié » (n°122). Il appelle à un changement radical de perspective au niveau socio-politique, pour sortir de la logique d’autodestruction actuelle. « Il s’agit de redéfinir le progrès » (n°194). Le pape s’en prend au consumérisme et à l’absence de souci du bien commun des populations les plus riches, qui entraîne des inégalités aggravées, mais aussi une consommation insoutenable pour l’avenir de l’humanité et de la planète. « Etant donné que le marché tend à créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits, les personnes finissent par être submergées, dans une spirale d’achats et de dépenses inutiles. Le consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme techno-économique » (n°203), qui est aussi dénoncé. Il nous faut prendre en compte la réalité d’un  monde limité et fini, combattre l’indifférence ou la résignation, et se mobiliser pour rendre le monde plus fraternel. Cette redécouverte de notre appartenance à une seule famille humaine est essentielle pour bâtir des liens justes et fraternels. Le pape François va jusqu’à promouvoir « une certaine décroissance dans quelques parties du monde » (n°193), les nôtres, « mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties » (n°193), pour permettre la vie pour tous et l’éclosion de nouveaux styles de vie, libérés de l’obsession consumériste, et plus respectueux des êtres humains et des autres membres de la Création.

Bref, s’engager pour une vie plus saine, bonne et pour le bien commun. Il s’agit là d’un véritable appel à l’établissement d’un nouveau paradigme, l’écologie intégrale. Cette notion est développée tout au long du chapitre 4 de l’encyclique. Elle est une prise en compte de la complexité du vivant et de nos sociétés. « Il est fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux » (n°139). L’écologie intégrale est une illustration du principe énoncé par le pape François dans Evangelii Gaudium selon lequel « le tout est supérieur à la partie ».  Avec l’écologie intégrale, il s’agit de développer de « nouvelles convictions, attitudes et formes de vie » (n°202). Nous sommes tous et chacun invités à mettre en œuvre ces nouveaux styles de vie dans notre vie quotidienne, tout autant que dans nos engagements professionnels et sociétaux. L’encyclique est un appel « dramatique et joyeux » à promouvoir une sobriété heureuse (n° 222 à 225), saine et fraternelle, dans un monde réconcilié où les pauvres peuvent vivre dignement et où l’ensemble de la Création est protégée. Cela demande une véritable éducation et une spiritualité écologiques (chapitre 6).

 

Un défi spirituel : la conversion écologique

 

L’approche spirituelle proposée par l’encyclique apparaît totalement associée à la dimension éthique et politique : la conversion écologique que le pape nous invite à faire touche ainsi toutes les dimensions de la vie individuelle et collective. Au niveau sociétal, le pape appelle à ne pas soumettre les décisions politiques aux impératifs d’un économisme à courte vue et à libérer l’économie du délire technocratique qui tend à imposer son pouvoir. Mais le politique ne peut délaisser une attention éthique qui, plus que jamais, précise l’enjeu de nos responsabilités communes, tant à l’égard des humains les plus fragiles qu’envers une nature largement menacée. Mais cette responsabilité éthique ne peut être positivement assumée que si elle se nourrit d’une démarche spirituelle. Nous avons là un déplacement d’accent de l’enseignement social de l’Église : celui-ci a toujours cherché à s’adresser à tous et il a pour cela développé une rationalité éthique.

La dimension spirituelle rappelle ainsi la motivation fondamentale de la conversion proposée au niveau individuel et collectif. Le changement de style de vie qui vise à sortir du consumérisme est fondé sur l’invitation à sortir de soi, à quitter une attitude autoréférentielle, pour faire attention à l’impact de chacune de nos actions sur les autres et sur l’environnement (n° 208). La sobriété à laquelle nous sommes appelés est présentée comme une expérience libératrice qui nous permet de découvrir ce qui donne vraiment de la valeur à la vie (n° 223). L’amour dans la vie sociale qu’il nous est proposé de retrouver est soutenu par la prise de conscience que nous avons besoin les uns des autres (n° 229). Le repos et l’eucharistie nous sont également proposés comme une manière d’inscrire notre agir dans une dimension réceptive et gratuite (n° 237). Un seul et même mouvement rassemble les différentes dimensions de la conversion écologique : celui du décentrement. Sortir de soi, non pas dans une démarche sacrificielle, mais bien au contraire, comme ce qui permet de découvrir la véritable source de vie, celle qui se construit en alliance avec les autres, avec la nature et avec Dieu.

L’encyclique invite à « une réflexion à la fois joyeuse et dramatique »  (n° 246), qui se traduit en reconnaissance et louange pour la création reçue, et à la fois, en appel pour que cette création devienne une terre habitable. Associons-nous à cette création nouvelle !

La récente encyclique du pape François « Loué sois-tu » a rencontré un large écho, au-delà des frontières ecclésiales. On peut parler d’un événement dans la mesure où la question de l’avenir de la vie sur notre Terre n’avait pas encore fait l’objet d’un document majeur dans l’Église catholique.

Il y avait une réelle attente pour qu’une voix autorisée s’élève, mais le texte lui-même, en raison de son style et des thèmes traités, a attiré l’attention. Quels traits marquants méritent d’être retenus ? Comment l’enseignement social de l’Église s’en trouve-t-il enrichi ?

Une recherche commune

 

Tout d’abord, selon une tradition bien établie, le pape cite ses prédécesseurs, mais il évoque également des textes émanant d’autres confessions chrétiennes, avec une place remarquable accordée au patriarche Bartholomée. Il se réfère aussi à la grande figure de Saint François d’Assise. Cependant, il veut s’adresser à chaque personne qui habite cette planète, « je me propose spécialement d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune » (n° 3). Un tel projet révèle deux motivations : une question majeure qui concerne la vie de tous les humains doit être portée par tous ; une parole chrétienne ne peut se présenter comme une « leçon » hautaine, elle s’énonce avec respect dans le cadre d’un dialogue. Un tel style a aussi le mérite de s’accorder au sujet traité : de nouveaux modes de vie ouverts à l’avenir de notre monde mettent en jeu des représentations du bonheur et de la responsabilité humaine qui ne se réaliseront que s’ils font l’objet d’une adhésion et d’un engagement populaire. L’ouverture du dialogue avec tous fait donc partie de la solution au défi majeur qui nous est collectivement posé.

Une approche cohérente de l’écologie

 

L’axe central du message concerne une vision intégrale de l’écologie qui associe la situation faite aux pauvres dans notre monde et la fragilité de la planète. Pour cela, l’encyclique met en cause un paradigme technocratique caractérisé par un délire de puissance. Il repose sur un recours mythique à la « croissance » qui laisse de côté la référence à la raison et à la responsabilité, et qui ignore ainsi ses conséquences négatives sur la nature et les populations en difficulté.

Un appel à la conversion

 

L’encyclique veut provoquer une révolution culturelle qui ne pourra s’opérer qu’au prix d’une « conversion » impliquant chaque conscience humaine, dans la mesure où le « style de vie » se rapporte à des images du bonheur et de la réussite. Une vision centrée sur l’individu et ses intérêts immédiats ne peut faire place au désir que d’autres générations puissent après nous vivre bien sur cette terre. Les ressorts d’une telle conversion sont d’ordre politique, éthique et spirituel.

Une référence centrale à la spiritualité

 

Le recours à la spiritualité proposé par l’encyclique serait-il une manière déguisée de renforcer le pouvoir du religieux ? Non, dans la  mesure où l’accent est mis sur un rapport poétique à la beauté, sur une attitude de contemplation ; on se déprend alors d’une approche utilitariste qui ne voit dans les biens, voire dans les autres humains, que des choses à soumettre et à consommer. Certes, le pape assume un héritage croyant : « le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu » (n° 84). Mais l’invitation au dialogue ouvre à une attention aux spiritualités qui se déploient en d’autres religions, voire en des courants humanistes qui se présentent comme agnostiques. L’approche spirituelle  a un impact pratique. Un exemple : si l’économie circulaire et collaborative est efficace, elle favorise surtout des relations humaines et un rapport responsable à la nature.