Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Confrontations, association d’intellectuels chrétiens, rassemble des personnes qui veulent contribuer par la réflexion et le débat d’idées, à la vitalité, à la créativité et à l’espérance dans notre société.

Elle suscite des débats à partir d’expériences professionnelles et sociales d’hommes et de femmes, laïcs et clercs, chrétiens et agnostiques, qui pensent que le message évangélique peut donner du sens à notre monde multiculturel.

Le 5 juin dernier, « Confrontations » a organisé un colloque : « Le care, une nouvelle approche de la sollicitude ? », dont Justice et Paix était partenaire.

Le care a fait son entrée en France sur les scènes de la réflexion philosophique et du débat politique. Parfois caricaturé, souvent mal connu, le care, entre théorie et pratique, morale et politique, étudie à nouveaux frais la vulnérabilité et la dépendance au cœur du lien social. Si le terme n’est toujours pas traduit, c’est que sa richesse sémantique ne s’épuise pas dans un unique équivalent français : prendre soin, donner de l’attention, manifester de la sollicitude…. Entre soin et sollicitude, la notion de care invite à une réflexion approfondie. D’où nous vient l’idée de prendre soin ? D’où nous vient la capacité à nous soucier d’autrui ? D’où surgissent les conduites individuelles et collectives, consistant à agir pour répondre aux attentes de l’autre ?

En quoi cette philosophie qui nous vient d’ailleurs est-elle si différente des notions de solidarité, de fraternité, de justice sociale ? En tant que chrétiens, en quoi interroge-t-elle notre foi et notre responsabilité ?

Les femmes et les hommes

Nathalie Sarthou-Lajus, philosophe, rédactrice adjointe de la revue Etudes avait la charge d’introduire la journée. « Le care est un courant venu des Etats -Unis, qui aborde beaucoup de questions de notre société. Le concept de care a émergé comme affirmation d’une volonté de revaloriser le soin ou la sollicitude dans le contexte libéral et individualiste triomphant. Comme la notion de genre, il est lié au mouvement féministe, le care étant très largement porté et soutenu par les femmes.

Carol Gilligan, dans un ouvrage fondateur, paru en 1982,  mais traduit en français seulement en 2008 sous le titre Une voix différente, pour une éthique du care (Flammarion), rapporte trois enquêtes, en distinguant des critères de décision différents chez les hommes (rationalité, droit et principes abstraits) et chez les femmes (prise en compte de l’autre et exemples vécus), avec quelque part l’affirmation de valeurs féminines versus valeurs masculines. Ce qui explique probablement son succès dans le monde et sa critique en France. Mais Gilligan le dit : dans le care, ce qui est important ce n’est pas le genre, mais son thème, le souci de soi et la sollicitude vis-à-vis de l’autre.

Dans notre pays, la réponse a généralement été de renvoyer à Levinas et à Ricœur, mais ces philosophes parlent d’éthique alors que les tenants du care parlent d’activités traditionnellement dévolues aux femmes et peu valorisées (le soin, l’accompagnement, l’aide) et leur originalité vient de ce qu’ils lient l’éthique, le social et le politique.

Dix ans plus tard, en 1993, Joan Tronto approfondit la question avec son ouvrage paru en français sous le titre Un monde vulnérable, pour une politique du care, (La Découverte). Tronto développe une anthropologie du besoin (proche de la philosophie de Simone Weil), en déplaçant la question : il ne s’agit pas d’une morale de femmes, construite sur le modèle « mère-enfant », mais d’une intelligence des relations et des situations, d’une attention aux autres, d’un équilibre entre l’exercice d’une compétence et l’implication de soi, ce qui pose le problème de la bonne distance. L’accent passe du privé au public, du psychologique au social. C’est une rencontre avec l’autre, ce qui comporte toujours des risques.

Longtemps réduit à l’espace du soin, de l’action sociale ou de l’éducation, le care pourrait être le socle d’une nouvelle conception de la justice sociale (venant en particulier compléter les travaux de John Rawls). Car s’il est vrai que le domaine des activités correspondant au care est bien connu, l’approche croisée qu’en font les politologues, les philosophes, les sociologues et autres psychologues, est un phénomène récent (et surtout sa valorisation dans l’univers politique).

Repenser le monde

Pour expliquer ce qu’est le care, Carol Gilligan critique la théorie de Lawrence Kohlberg, plus connue sous le nom de système de Kohlberg : soit un homme, Heinz, qui vit dans un pays étranger avec sa femme très malade. Le pharmacien dispose d’un médicament qui peut la sauver, sinon elle va mourir. Heinz n’a pas d’argent, doit-il voler le médicament ?
L’histoire est présentée à un garçon de onze ans, Jake, qui considère que Heinz doit voler le médicament, la priorité étant de sauver sa femme : cela lui donne le droit de voler et donc de transgresser la loi. S’il se fait prendre, le juge comprendra et imposera la peine la plus légère.

Puis l’histoire est présentée à Amy, onze ans également, dont la réponse est différente : Heinz ne doit pas voler et sa femme ne doit pas mourir. Si Heinz va en prison pour ce vol, sa femme sera tout autant démunie ; ils devraient donc en parler tous les deux et s’ils ne trouvent vraiment aucun moyen de réunir l’argent nécessaire, aller convaincre le pharmacien, lui exposer la situation et lui dire qu’en offrant ce médicament, il sauve une vie. Dans ce cas, Heinz ne transgresse pas la loi, sa femme est sauvée et le pharmacien accomplit un acte altruiste.

Kohlberg nous dit qu’Amy est généreuse mais naïve, alors que, pour Gilligan, nous sommes en présence de deux rapports à la morale et à l’action politique. Jake fonde son raisonnement sur un rapport au monde qui pose logiquement la priorité de la vie sur le droit de propriété ; il justifie donc le vol, quitte à réclamer ensuite la clémence du juge. Amy fonde le sien sur le dialogue, la responsabilité, l’attention à autrui et la conviction que si une personne possède quelque chose capable de sauver la vie d’une autre, elle aurait tort de ne pas le lui donner. On dira que c’est une vision optimiste des relations humaines, mais c’est le fondement même du care.

Si effectivement nous pensons que la politique ne se réduit pas à un simple calcul d’intérêt, si elle implique de redonner sens aux logiques du lien social, alors le care est une autre manière de penser le monde, de re-fabriquer du lien, non pas selon une grande théorie ou un grand récit, mais à partir des individus, à partir d’une politique ordinaire.

Tous concernés

Gilles Séraphin, directeur de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger, (qui était l’un des intervenants), a été rapporteur du groupe de travail de Terra Nova, Les défis du care : renforcer les solidarités. Dans son propos, il a rappelé que si le care se définit comme le soin ou le souci permanent de l’autre, de qui l’on est ou se sent proche, ce souci peut s’accompagner ou se concrétiser par une sollicitude quotidienne ou épisodique.

Il est cependant difficile de définir la population concernée. On peut dire qu’il s’agit des bénéficiaires en situation de vulnérabilité ou dépendants du fait de leur âge (personnes âgées ou enfants) ou de handicap temporaire ou permanent. On les appelle personnes aidées. Des personnes qui prennent soin, membres de la famille, proches amis ou voisins, bénévoles d’une association ou professionnels. En particulier, un grand nombre de salariés peuvent dépasser dans leur pratique d’aidants la simple relation médicale, sociale ou psychologique. On les nomme les aidants.
Cette relation s’inscrit dans un échange : celui ou celle qui prend soin le fait tout à la fois au nom de son éthique professionnelle ou humaine, mais aussi d’une projection (comment serai-je moi-même dans l’avenir ?), d’un souci de reconnaissance, d’un devoir, par affection, par souci de se valoriser. L’important c’est de souligner une relation permanente d’échanges.

Par ailleurs, chacun d’entre nous peut devenir vulnérable à un moment ou à un autre de son existence de façon permanente ou temporaire. Toute personne est susceptible d’être en besoin de care. Le care concerne l’ensemble des citoyens et des institutions, associations, organisations etc.

Justice sociale

Il ya six objectifs d’une politique du care:
un objectif de justice : toute personne qui prend soin d’autrui participe à la cohésion sociale et au bien-être collectif. L’engagement dans les tâches effectuées et dans l’attention apportée doit être reconnu.

un objectif de lutte contre les inégalités sociales et entre les hommes et les femmes. Un grand nombre des tâches quotidiennes que l’on reconnait sous ce vocable viennent d’une relation hiérarchique ou de domination (domestique), tâches généralement pratiquées par des femmes, et donc fortement dévalorisées et peu reconnues socialement. Dans la majorité des cas, les personnes en charge du care sont mal rémunérées. Les politiques du care doivent donc promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes.
un objectif de bien-être : il ne s’agit pas que de satisfaire des besoins physiques, le care impliquant une relation marquée par le souci de l’autre, l’attention à l’autre, l’accomplissement de la tâche avec l’autre.

un objectif de promotion des compétences et des capacités d’agir de chacun, (empowerment).
un objectif de solidarité : la solidarité publique (Etat, collectivités territoriales, organismes et institutions) et la solidarité privée (famille, amis, associations) ne s’opposent pas, au contraire, elles se renforcent. La solidarité privée fonctionne d’autant mieux qu’elle est soutenue par la solidarité publique.
un objectif pédagogique : chacun est interdépendant des autres (source ou bénéficiaire). Chacun est, a été ou sera un jour ou l’autre aidant ou aidé.

 

Le care comme politique annonce donc l’émergence d’une société plus démocratique, pensant en particulier le social en fonction de la vulnérabilité des individus et non pas de leur valeur marchande.

Toutes les injonctions à destination des acteurs éducatifs et de l’action sociale depuis trente ans sont de « faire avec et non pour, » de « placer l’enfant, l’usager, le citoyen au centre de l’action ». Prendre soin, être dans une approche de sollicitude ne relève pas d’un vague impératif humanitaire ou charitable mais de la conscience civique de la justice sociale. C’est pourquoi, même si le care est venu de milieux non chrétiens, et même parfois anti chrétiens, il interroge les chrétiens sur leur lecture de l’Evangile et sur leur pratique.

La 21e « conférence des parties » à la Convention Climat des Nations Unies revêt une importance capitale pour notre avenir commun.

Cette Conférence comporte  quatre principaux enjeux : pratique, responsable, solidaire et spirituel.

Du sens pratique au sens des responsabilités

Le premier enjeu est d’ordre pratique : créer un cadre international pour favoriser l’action des Etats contre le réchauffement climatique Les gouvernements vont prendre des décisions et les relais des citoyens sont essentiels pour atteindre les objectifs. D’où la place particulière accordée à la mobilisation de la société civile. C’est  là que réside un défi pour les gouvernements : écouter la voix de la société civile organisée en associations, en organisations comme une source d’inspiration autant qu’un relais d’action.

Les pays s’engagent sur la durée. Les efforts en vue de l’accord de Paris en 2020 nécessitent l’engagement de chacune des composantes de la société. Le temps est compté. L’inaction coûte la vie à des personnes victimes de la montée des eaux, de l’intensification des catastrophes naturelles, des conflits dus à la raréfaction des ressources, à l’appauvrissement des sols, aux migrations climatiques. Chaque Etat va prendre des engagements nationaux de réduction d’émission de gaz à effet de serre, cause de réchauffement climatique. Mais l’espoir tient au fait qu’il les prenne avec la conscience que  leur portée va au -delà des frontières nationales.

Le deuxième enjeu est que chaque Etat prenne des engagements nationaux au vu de son contexte, de son seuil de développement pour maîtriser son réchauffement à 2°C. Cette Cop21 requiert la participation la plus large possible de tous les pays : l’implication de toutes les parties concernées, y compris celles qui restent souvent aux marges des processus de décision. Le poids politique de chaque Etat diffère.  Les délégations du Bangladesh, des îles du Pacifique ou de la Chine n’auront  certes pas la  même composition à Paris. Mais le rôle des Nations Unies est de veiller à un certain équilibre des négociations en s’assurant de la portée des messages de justice sociale.

Solidaires et spirituels

Le troisième enjeu, et non des moindres, consiste à dégager des financements pour aider les pays les plus pauvres à s’adapter aux impacts du réchauffement climatique. Dimension essentielle pour parvenir au succès des négociations sur le climat. Nul besoin d’insister sur le fait que les impacts négatifs ne sont pas répartis également à la surface de la terre. C’est la criante injustice climatique. Les plus atteints ne sont pas ceux qui ont le plus contribué à l’état actuel de la planète. Reste à prendre la mesure des conséquences morales de ce constat. Le pape François a mentionné la « dette écologique » du Nord envers le Sud dans son encyclique Laudato Si’.

Un fonds vert pour le climat fournira  en ce sens une partie des financements de soutien à leur développement durable. On voit là un véritable enjeu de justice sociale et de solidarité. « Nous savons que les personnes les plus vulnérables face aux problèmes de l’environnement sont les pauvres. Solidarité veut alors dire mettre ensemble des instruments efficaces capables de lutter en même temps contre la pauvreté et la dégradation de l’environnement», a déclaré le pape aux ministres de l’Environnement des pays membres de l’Union Européenne, le 16 septembre dernier.

Les riches pays du Nord sont donc invités « à honorer cette dette en donnant le bon exemple, limitant de manière importante la consommation d’énergie non renouvelable, apportant des ressources aux pays plus pauvres pour soutenir des politiques et programmes de développement durable » a affirmé le pape lors de cette rencontre. La dette entraine alors un devoir de redistribution, sous forme financière, mais aussi de transfert de compétences, de formation, de partenariat.

Le quatrième enjeu est d’ordre spirituel et moral car la crise climatique relève d’un tel défi. « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » dit un proverbe africain cité en 1939 par Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des Hommes. La voix des autorités religieuses est considérée en ce sens comme une alliée importante dans la perspective d’une réussite du sommet climatique.  Iln’est pas anodin en France, pays à laïcité revendiquée, de préparer un évènement international avec la contribution des voix des religions et des spiritualités. En tant que  ces voix portent le sens d’un bien commun pour l’humanité.