Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Déclaration de Justice et Paix France suite aux attentats du 13 novembre survenus à Paris et à St Denis.

Nous n’avons pas peur.
Nous sommes Paris et nous n’avons pas peur.
Nous sommes avec toutes les victimes, mortes, blessées, saines et sauves.
Nous sommes avec elles, avec leurs familles, avec leurs amis.
Nous sommes leurs frères et leurs sœurs, nous aurions pu être l’un d’eux.
Nous condamnons absolument cette violence et tout acte de terrorisme.
Nous refusons toute représentation de Dieu qui justifie une pratique terroriste,
Nous approuvons les mesures qui sont prises par les autorités contre les terroristes, mais qui ne
doivent jamais aller contre les fondements de l’Etat de droit.
Nous sommes unis et nous bâtissons des ponts, pas des murs.
Nous sommes la Justice et la Paix.

L’espoir de fin d’année réside dans la signature d’un premier accord universel sur le climat incluant les pays émergents. À en croire un premier bilan dévoilé le vendredi 30 octobre par l’ONU à Berlin, avant la Conférence – climat à Paris, les engagements des Etats ne permettent pas de limiter le réchauffement climatique à 2°C, l’objectif officiel de la COP21.

« Un effort mondial sans précédent est en cours » » « Des réductions d’émissions de gaz à effet de serre beaucoup plus importantes » seront toutefois nécessaires dans les prochaines années pour rester sous cette limite, avertit l’ONU.

Etat des négociations climat: à la hauteur des enjeux?

 

Les Nations Unies estiment que les engagements nationaux « ont la capacité de limiter à 2,7°C l’élévation de la température ». « Ce n’est en aucun cas suffisant », car encore synonyme de dérèglements climatiques majeurs, « mais cela est beaucoup plus bas que les 4 ou 5 degrés de réchauffement projetés par beaucoup avant les engagements », a commenté avec optimisme Christina Figueres, la secrétaire générale de la Convention climat de l’ONU.

La question du soutien financier aux Etats dont la survie dépend de l’adaptation aux dérèglements climatiques est cruciale. L’alerte fut tirée aux négociations de Bonn. Le Fonds vert pour le climat, destiné à financer des programmes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation au changement climatique dans les pays en développement reste loin de son objectif. Les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an, sur fonds publics et privés, d’ici à 2020. Les engagements sont loin du compte. L’humanité relèvera-t-elle le défi de la solidarité  ?

Freins à l’action de la société civile

 

La singularité de cette Cop semblait tenir à une plus grande reconnaissance de la mobilisation des citoyens. La Coalition climat, chargée de la faire vivre ne s’économise pas.

Or le manque de soutien du gouvernement  français et de la Mairie de Paris peut  perturber les actions citoyennes. Trois principales sources de tension : l’organisation de la marche mondiale pour le climat du 29 novembre. A un mois de sa tenue, l’itinéraire n’est toujours pas arrêté du fait des contraintes posées par la Préfecture. Second point critique : les visas. De nombreux membres d’organisations engagées dans  la lutte contre le réchauffement climatique ont du mal  à obtenir leurs visas. Troisième critique : les lieux d’hébergement. Espérons que la plateforme Ephatta.com/Cop21 apporte sa pierre à l’édifice de l’hospitalité!

Les religions prennent la parole

 

Le lundi 26 octobre, depuis la Cité du Vatican, des cardinaux, des patriarches et des évêques du monde entier représentés par les présidents des conférences épiscopales continentales ont lancé un appel aux négociateurs de la COP21 à Paris pour demander la garantie que les populations les plus vulnérables ne soient pas les laissées pour compte d’un éventuel accord.

Dans le sillage de l’encyclique Laudato Si’ du pape François, dans laquelle il réclamait des mesures d’urgence pour sauver les hommes et la planète d’une catastrophe écologique, ces religieux ont rédigé un texte en dix points disponible sur le site de Justice et Paix.

Élaboré en collaboration avec les ONG fédératives catholiques Caritas et Cidse (réseau des agences catholiques de développement), l’appel demande « l’implication des populations les plus pauvres, les plus vulnérables et les plus touchées à tous les niveaux du processus décisionnel». Dans son discours adressé à l’Assemblée générale des Nations unies, le Pape a souligné que l’abus et la destruction de l’environnement sont aussi accompagnés d’un processus d’exclusion constant1. L’archevêque de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Mgr Ribat insiste sur la conscience des risques pour la survie des communautés de bord de mer.

Reste à saluer conjointement la prise de parole du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui a repris et soutenu la déclaration sur le changement climatique, lancée à l’occasion d’un colloque international islamique sur le changement climatique à Istanbul en août 2015. Leur leitmotiv:« Que diront de nous les générations futures héritant d’une planète dégradée?».

Dans le prolongement des Objectifs du Millénaire pour le Développement (2000-2015), la communauté internationale vient d’adopter en septembre dernier, à l’ONU, les Objectifs de développement durable.

Eviter la séduction des nombres

Dans les deux cas, un grand « narratif » est proposé à tous les habitants de la planète et à tous les dirigeants, en vue de mettre en œuvre des objectifs relatifs à des principes éthiques. Il faut évidemment saluer le consensus autour de la volonté d’éradiquer la misère, de promouvoir les conditions d’une vie digne, de préserver les écosystèmes, de réduire les inégalités, etc. Toutefois, il faut aussi s’interroger sur les limites possibles et les effets pervers de la focalisation sur certains objectifs donnant lieu à des mesures chiffrées.

Comme le montre la littérature en sociologie de la connaissance, ce type de programme produit à la fois des effets de gouvernance et des effets de savoir : en effet, en termes de gouvernance, il s’agit de créer des incitations pour des politiques, à l’initiative d’acteurs publics et privés, en établissant des standards clairs de performance. En termes de savoirs, il s’agit à la fois de simplifier des concepts complexes et de fournir un cadre commun d’analyse et d’évaluation.

Objectifs de développement durable

Objectif 1 : Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde

Objectif 2 : Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable

Objectif 3 : Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge

Objectif 4 : Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie

Objectif 5 : Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles

Objectif 6 : Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau

Objectif 7 : Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable

Objectif 8 : Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous

Objectif 9 : Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation

Objectif 10 : Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre

Objectif 11 : Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables

Objectif 12 : Établir des modes de consommation et de production durables

Objectif 13 : Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions* * Étant entendu que la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est la principale structure intergouvernementale et internationale de négociation de l’action à mener à l’échelle mondiale face aux changements climatiques.

Objectif 14 : Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins de développement durable

Objectif 15 : Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des terres et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité

Objectif 16 : Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins de développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous

Objectif 17 : Renforcer les moyens de mettre en œuvre le partenariat mondial pour le développement durable et le revitaliser

 

Les conséquences inattendues et parfois négatives de tels dispositifs existent à ces deux niveaux : en termes de gouvernance, le risque est de détourner l’attention d’objectifs importants, de créer des effets de silo, et de fournir des incitations perverses. En termes d’effets sur les connaissances, de tels programmes peuvent conduire à un réductionnisme et une redéfinition des objectifs. Un risque crucial est de passer d’une conception de la transformation sociale et de l’empowerment à la simple recherche d’une réponse à des besoins de base. Par exemple, en ce qui concerne l’objectif de l’an 2000 concernant la lutte contre la faim : en 1992 la conférence internationale sur la nutrition mettait l’accent sur les contraintes structurelles. Au sommet mondial de l’alimentation de 1996, l’agenda du développement comprenait 7 engagements et 27 objectifs stratégiques. Sous l’impulsion, notamment, de la fondation Bill Gates, les donations en faveur de la sécurité alimentaire se sont centrées sur l’amélioration des technologies. L’objectif, depuis la fin des années 1990, consiste à produire les biens (commodities) qui permettent d’avoir plus d’impact pour nourrir les affamés plutôt que d’investir dans des projets favorisant l’empowerment des femmes et autres objectifs plus structurels. Une telle conception du développement par objectifs exclut ou minore les processus, les relations, les structures de pouvoir. La façon dont la sécurité alimentaire, de même que chaque autre objectif, est appréhendée consiste à porter l’attention sur un enjeu et ensuite à déterminer comment cet enjeu doit être vu ; un cadre efficace est celui qui fait apparaitre les indicateurs comme relevant du bon sens et comme étant non critiquables.

Or le diable est dans les détails : les indicateurs quantitatifs orientent la définition normative ; les objectifs peuvent créer des incitations inappropriées. La quantification, la simplicité, le consensus représentent une force pour la mobilisation, mais une faiblesse pour face aux racines de la pauvreté. Les nombres sont séduisants mais on peut aisément les manipuler. Il s’agit de distinguer les indicateurs et les objectifs.

Enfin il faut contextualiser les histoires racontées : regarder le contexte politique qui structure l’ensemble. Il faut aussi tenir compte des réalités différentes selon les pays et veiller à ce que ces objectifs conduisent à des réformes structurelles de long terme.

Les enjeux pour l’engagement des entreprises

Dans ce cadre, les risques quant à la façon dont les entreprises vont être mobilisées dans la mise en œuvre de ces objectifs sont multiples. J’en pointerai deux qui apparaissent particulièrement importants en vue d’une contribution effective des entreprises au développement durable des zones où elles ont des activités et de la planète entière. Le premier est lié à ce qu’on appelle les mesures d’impact, le deuxième aux dimensions stratégiques de l’engagement des entreprises.

Les mesures d’impact sont à la mode.

Mais on ne sait pas toujours très bien ce que l’on met sous le terme d’impact, ce que l’on cherche à mesurer. Les institutions internationales, comme l’ONU ou l’OCDE, ont mis en place des principes directeurs à l’intention des multinationales et des investisseurs afin d’inciter ces acteurs à mener des études d’impact environnemental et social avant le démarrage de leurs activités ; en principe, les décisions d’investir doivent être conditionnées par la reconnaissance que les effets négatifs sur les écosystèmes naturels et sur les populations seront minimisés et donneront lieu à des compensations, indemnisations et réparations. Néanmoins, beaucoup reste à faire pour que ces mesures d’impact soient faites selon une méthodologie rigoureuse, pluridisciplinaire, et sans mettre de facto au premier plan des avantages financiers attendus pour l’entreprise, éventuellement pour le pays concerné. A cet égard, les multiples références du pape François à ce problème dans l’encyclique Laudato Si’, sont très bienvenues. Par exemple, « il est nécessaire d’investir beaucoup plus dans la recherche pour mieux comprendre le comportement des écosystèmes et analyser adéquatement les divers paramètres de l’impact de toute modification importante de l’environnement. » (42) « Une étude de l’impact sur l’environnement ne devrait pas être postérieure à l’élaboration d’un projet de production ou d’une quelconque politique, plan ou programme à réaliser. Il faut qu’elle soit insérée dès le début, et élaborée de manière interdisciplinaire, transparente et indépendante de toute pression économique ou politique. Elle doit être en lien avec l’analyse des conditions de travail et l’analyse des effets possibles, entre autres, sur la santé physique et mentale des personnes, sur l’économie locale, sur la sécurité. Les résultats économiques pourront être ainsi déduits de manière plus réaliste, prenant en compte les scénarios possibles et prévoyant éventuellement la nécessité d’un plus grand investissement pour affronter les effets indésirables qui peuvent être corrigés. Il est toujours nécessaire d’arriver à un consensus entre les différents acteurs sociaux, qui peuvent offrir des points de vue, des solutions et des alternatives différents. Mais à la table de discussion, les habitants locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se demandent ce qu’ils veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui peuvent considérer les objectifs qui transcendent l’intérêt économique immédiat. Il faut cesser de penser en termes d’  « interventions” sur l’environnement, pour élaborer des politiques conçues et discutées par toutes les parties intéressées. » (183)

Ajoutons que conditionner des financements à des mesures d’impact peut sembler une chose positive, en vue d’éviter les éléphants blancs, c’est-à-dire des dépenses considérables pour des installations sous-utilisées ou des projets peu efficaces. En réalité, ces mesures d’impact peuvent donner lieu à ce qui a été décrit plus haut, quant à la focalisation sur des objectifs de court-terme, facilement mesurables, et détourner de la préoccupation pour une transformation structurelle. Ce danger est bien perceptible dans les nouveaux outils de financements innovants appelés social impact bonds : une aide publique est promise à des projets « qui marchent»; la difficulté, c’est qu’on valorise alors de façon préférentielle de tels projets « top-down », ciblés, souvent de courte durée. La mode des évaluations par tirage aléatoire (Randomized Control Trials), mise à l’honneur par le laboratoire JPAL (Poverty Action Lab) du MIT, est complètement en phase avec cette conception : il s’agit en effet de tester des programmes comme on teste des médicaments en tirant au sort deux populations similaires et en administrant un traitement à l’une d’entre elles, pour étudier ensuite les trajectoires des deux populations et vérifier l’effet du traitement. Cette méthodologie, qui est l’expression d’une focalisation sur les données mesurables à partir d’un projet simple, descendant et localisé, pose de nombreux problèmes épistémologiques et éthiques. On est loin d’une compréhension du développement sous l’angle de la participation des populations à une amélioration durable de leurs conditions structurelles d’existence.

Les dimensions stratégiques de l’engagement des entreprises

Dans la même ligne, les grandes entreprises vont avoir tendance à focaliser leur contribution au développement sur de tels projets qu’elles tenteront de mettre en place avec d’autres partenaires. Ces initiatives peuvent être tout à fait positives et contribuer à répondre à des besoins précis de populations vulnérables, souvent ciblées par ces projets dits de « social business ». Mais l’enjeu de fond dépasse largement ces efforts : il s’agit bien d’intégrer dans le cœur des stratégies de toutes les entreprises les paramètres relatifs à leur responsabilité sociale et environnementale. Ceci suppose de revoir l’organisation et le management, de façon à ne pas continuer à séparer la stratégie de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE), mais de les intégrer. Il s’agit évidemment, dès lors, d’une révolution dans la façon d’envisager la contribution au développement, en mettant l’accent sur le rôle politique de l’entreprise vis-à-vis des biens communs mondiaux que sont, notamment, le climat et la cohésion sociale.

L’imagination morale et sociale de tous les acteurs

En conclusion, l’horizon dessiné par ces objectifs de développement durable est bien lié à l’élargissement de l’imagination morale et sociale de tous les acteurs, y compris au sein des entreprises, afin de redécouvrir certaines valeurs et de changer nos manières de regarder le monde et d’y agir, conscients de notre dette écologique à l’égard des plus vulnérables et des générations futures.