Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Justice et Paix publie sur son site les Actes d’un colloque sur la responsabilité de protéger qu’elle a organisé le 26 janvier 2013 avec la FASSE / Institut catholique de Paris et Pax Christi – France.

Les communications présentées lors de ce colloque n’ont rien perdu de leur actualité. La responsabilité de protéger (ou R2P) reste au cœur des débats sur le discernement éthique et politique face aux violations massives des droits humains.

La R2P part du principe que la souveraineté ne confère pas seulement des droits à l’Etat, comme l’indépendance à l’égard des ingérences extérieures mais aussi des devoirs, comme la garantie des droits humains. Inciter ou même contraindre un Etat à protéger sa population contre les violences de masse, c’est le rétablir dans l’exercice authentique de sa souveraineté.

La R2P a été reconnue en septembre 2005 par l’ensemble des Etats. Puisqu’il était reproché à l’ONU de ne rien faire pour prévenir ou stopper les crimes de masse, il a alors été décidé d’autoriser l’Organisation à intervenir en pareil cas, au besoin par la force. Un risque de paralysie subsiste cependant en cas de refus d’un membre permanent du Conseil de sécurité d’autoriser l’intervention armée.

Néanmoins la R2P ne se réduit pas à l’emploi de la force. Elle repose sur « trois piliers » : une « responsabilité primaire de protection » de tout Etat à l’égard de sa population ; une « responsabilité d’assistance » de la communauté internationale à l’égard d’un Etat confronté à des crimes de masse sur son territoire et enfin, une responsabilité internationale de réponse « rapide et décisive » lorsque ces crimes perdurent (mais cette réponse peut revêtir de nombreuses formes non militaires).

L’accent mis sur le recours à la force a provoqué une crise de la R2P : lors de la crise libyenne de 2011, de nombreux pays ont estimé que les Occidentaux et leurs alliés arabes avaient outrepassé le mandat donné par le Conseil de sécurité en provoquant un « changement de régime », alors qu’ils étaient seulement autorisés à mettre fin aux attaques contre les populations civiles.

Mgr Michael Banach, Représentant permanent du Saint-Siège auprès de l’OSCE, a rappelé, lors du colloque, que la R2P repose sur la reconnaissance de l’unité de la famille humaine et sur l’attention portée à la dignité innée de chaque homme et de chaque femme. C’est donc « notre affaire à tous », comme l’a souligné Mgr Marc Stenger, président de Pax Christi – France.

Au nom de leur foi, des chrétiens s’engagent pour un meilleur encadrement des multinationales. Une sixième plaquette publiée par le CCFD-Terre solidaire, le Secours catholique, la DCC, le Ceras et Justice et Paix.

Extraits :

Les moyens dont disposent certaines entreprises transnationales ont atteint un niveau d’efficacité jusque-là impensable. Mis au service de tout homme et de tout l’Homme, ils sont les bienvenus.
Mais ils deviennent redoutables lorsqu’ils aboutissent à nous faire accepter, comme nous le répète le pape François, qu’il existe des êtres assimilés à des « déchets », broyés par les machines et les systèmes. Ou encore lorsque les moyens utilisés violent définitivement la Nature qui ne peut plus se régénérer.
Le nombre de ces entreprises est passé de 37 500 en 1990 à 82 000 en 2010. En 2011, leurs 790 000 filiales étrangères ont employé 69 millions de personnes, pour un chiffre d’affaires de 28 000 milliards de dollars (près de la moitié du PIB mondial).

L’Eglise et la mondialisation

L’Église ne condamne pas en soi le profit, pertinent « comme indicateur du bon fonctionnement de l’entreprise» (Centesimus annus, CA 35). Mais elle juge dangereuse la quête du «plus grand profit» à tout prix. Elle voit de façon très positive l’acte d’entreprendre, expression de «la liberté de la personne dans le domaine économique», tout en rappelant qu’il revient à l’homme de «faire un usage responsable» de cette liberté (CA 32). Dans l’enseignement social catholique, l’entreprise est une société de personnes plus qu’une société de capital (CA 43), avant tout « au service des personnes» et du bien commun.

Sans nier les apports de la mondialisation, l’Église met en garde contre certains risques quand les entreprises se déploient au niveau international. Elle craint «que l’entreprise soit presque exclusivement soumise à celui qui investit en elle au détriment de « toutes les parties prenantes qui contribuent à la vie de l’entreprise»
(Caritas in veritate, CV 40).

Quant au rôle de garant du bien commun dévolu à l’État, il se voit malmené, tant par l’influence exercée par des multinationales, que par le fonctionnement de l’économie mondiale.
François dénonce ces «idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière.»(Evangelii gaudium, EG 56)

Quand les droits sont bafoués

Le 24 avril 2013, au Bangladesh, un bâtiment de huit étages s’est effondré, tuant 1147 personnes, en majorité ouvrières du textile. Dans des conditions indignes, celles-ci travaillaient pour les sous-traitants bangladais d’entreprises occidentales.

En Colombie comme en Indonésie, des communautés sont délogées de leur territoire de vie pour faire place aux palmiers à huile. Une monoculture qui alimente la déforestation, appauvrit durablement les sols, et fait concurrence à l’agriculture paysanne.

D’autres activités choquent aussi : exportation de déchets toxiques à Abidjan, tolérance de certaines banques pour l’argent du crime organisé, achat de minerais à des groupes armés de l’Est du Congo pour fabriquer les téléphones portables.

 

Une dérive systémique ?

Où est passé l’humain et le respect de la Création ? Le droit est-il respecté ? A-t-on consulté les populations qui vivent sur le territoire ? L’État d’accueil les protège-t-il, y compris les minorités ? Est-il en capacité de faire face à des opérateurs mondiaux ? Ces derniers ont-ils identifié les risques de violations des droits?

Depuis 2005, plus de la moitié des principales entreprises cotées en bourse en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France ont été mises en cause dans des controverses sur les droits humains (dommages environnementaux, corruption, scandales fiscaux).

C’est cette dimension systémique que dénonçait Jean- Paul II en 1999 : «Les institutions financières et les entreprises transnationales se renforcent, au point de subordonner les économies locales, surtout en affaiblissant les États qui paraissent chaque fois moins capables de mettre en avant des projets de développement au service de leurs populations. Les industries d’extraction internationales et l’agro-industrie, très souvent, ne respectent pas les droits économiques, sociaux, culturels et l’environnement des populations locales. Elles n’assument pas leurs responsabilités.» (Ecclesia in Asia).

L’étendue des responsabilités

La portée de l’activité des multinationales s’est considérablement accrue, mais leur périmètre exact et l’étendue de leurs responsabilités restent mal définis.
Les entreprises françaises, sont peu attentives à l’impact sociétal et environnemental de leurs activités dans leur chaîne de valeur. Une étude d’Oxfam de mars 2015 sur cinq grandes banques françaises précise: «Sur la base de plus d’une centaine de critères, les groupes Banque Populaire-Caisse d’Epargne, BNP-Paribas, Crédit Agricole, Crédit Mutuel-CIC et Société Générale (sont notés) sur leur impact à travers huit thématiques : le changement climatique, la fiscalité et la corruption, le commerce des armes, les droits humains, le droit du travail, l’environnement, les rémunérations et bonus. L’évaluation de l’année  est sans appel : aucune banque n’a la moyenne. Si la plupart d’entre elles, notamment, la BNP-Paribas, la Société Générale et le Crédit Agricole, ont signé de nombreuses normes et standards internationaux et adopté d’innombrables politiques sectorielles sur des enjeux clés, ces engagements restent au mieux peu ambitieux, au pire très vagues.»

Comment évaluer si la contribution des multinationales au développement via l’emploi, l’investissement, la formation ou le transfert de technologie n’est pas inférieure aux coûts assumés par les sociétés humaines où elles s’implantent ?

Juridiquement, les multinationales n’existent pas en tant que groupes. Elles sont un ensemble d’entités séparées, chacune se voyant appliquer le droit de son pays d’implantation. Une filiale étrangère commet une infraction, le siège n’a pas à en répondre (du moins devant le juge). De même quand le sous-traitant viole le droit du travail. Au point que certains groupes entretiennent l’opacité autour de leur structuration (parfois plus de sept échelons de filialisation ou de sous-traitance) pour diluer la responsabilité. Le droit n’est pas encore adapté à l’échelle qui est désormais celle des grandes entreprises.

Et les États ?

Après avoir mis en concurrence les entreprises du monde entier, les États se retrouvent à leur tour en concurrence. Les multinationales choisissent de s’implanter là où le meilleur accueil leur sera réservé. Elles savent manier le chantage à l’emploi et, au besoin, produire l’expertise nécessaire pour convaincre.
Peu à peu, la puissance publique ajuste ses lois pour satisfaire les investisseurs privés avec des législations peu contraignantes en matière sociale, environnementale ou fiscale.

Bonnes pratiques

Le débat public est nécessaire pour sortir du tête-à-tête et trouver un juste équilibre. L’obligation légale de consulter les populations de façon libre et informée est un levier important pour mieux prendre en compte leurs besoins et favoriser l’acceptabilité d’un projet. Il revient ensuite au Parlement de contrôler les aménagements règlementaires et fiscaux.

Ces processus peuvent amener certaines entreprises à adopter de « bonnes pratiques » qui pourront faire tâche d’huile : publication d’informations financières pays par pays, conduite préalable d’études d’impact indépendantes sur les droits de l’Homme, consultation des parties prenantes, etc. L’insuffisance des initiatives volontaires conduit ensuite à l’adoption de lois contraignantes de transparence des paiements, malgré les réticences des entreprises concernées. Par ailleurs, grâce à la mobilisation de la société civile, la publicité des contrats progresse dans les pays du Sud, notamment dans le secteur extractif, permettant aux gouvernements de faire valoir les attentes de leurs populations lors de la négociation et amenant celles-ci à demander des comptes à l’État. La stigmatisation des dérives contribue aussi à faire évoluer les pratiques. Pour les entreprises cotées en particulier, la réputation est un capital à préserver et à consolider. Ainsi elles ont développé des codes de bonne conduite, le mécénat via des fondations, ou encore adhéré à des initiatives volontaires, telles que le Pacte mondial des Nations unies.

Une réglementation contraignante

La réalité économique, humaine et managériale d’une entreprise multinationale confère au pays du siège une responsabilité éminente dans les activités à l’étranger de ses filiales – et souvent de ses fournisseurs et sous-traitants. Imposer aux sociétés mères un devoir de vigilance pour le respect des droits dans toute leur chaîne de production est l’objectif d’une proposition de loi en discussions laborieuses au Parlement français en 2015, alors que les Français sont favorables à 76% à ce qu’une multinationale soit tenue responsable devant la justice des accidents graves provoqués par ses filiales ou ses sous-traitants.

Des réglementations sont aussi nécessaires à l’échelle internationale. En 1990, 91 % des multinationales venaient des pays développés, 10 ans plus tard, 70 %.
Adoptés en juin 2011, les principes directeurs des Nations unies visent à faire respecter par les sociétés multinationales les droits fondamentaux. Ils instaurent une double obligation : pour les États, protéger les citoyens des abus réels ou potentiels des entreprises à l’égard des droits humains; pour les multinationales, veiller au respect de ces droits par des procédures afin d’identifier, prévenir et réparer les risques de violations.

Mais aucun mécanisme de sanction ne contraint aujourd’hui les uns et les autres à la mise en œuvre de ce texte. Plusieurs pays en développement demandent un traité international contraignant, mais les pays européens s’y opposent. Pour l’heure, l’Union européenne demande à chaque État membre un état des lieux et un plan d’action.

Les intérêts privés font-ils le bien de tous ?

Par leur ampleur, les investissements étrangers modèlent ainsi le paysage social, économique, politique et culturel des pays ciblés. Les attirer n’est pourtant pas la seule voie de développement possible. Ainsi, dans le domaine agricole, la ruée des investisseurs vers l’achat de terres (24 millions d’hectares en Côte d’Ivoire, 3 millions en Éthiopie…) véhicule «une vision de l’agriculture caractérisée par une industrialisation croissante qui [reproduit] le modèle dominant des pays riches».

L’emprise de la finance sur nos modèles de développement n’est pas non plus une fatalité. Tout un secteur a laissé croire qu’il continuait de servir l’économie réelle, alors qu’il se servait lui-même. « Le développement économique s’avère factice et nuisible, s’il s’en remet aux “prodiges” de la finance pour soutenir une croissance artificielle » (CV 68).

Se mobiliser

Tenter de relever de tels défis entraîne très logiquement chaque personne et chaque groupe à se positionner sur le terrain économique, social et politique. Ensemble, ne craignons pas de poser des questions en remettant en cause certains modèles économico-financiers irrespectueux des hommes et des femmes, des peuples et de l’Humanité, tant aimée de Dieu.