Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Le groupe « Développement » de Justice et Paix travaille depuis plusieurs années sur le développement durable. Il vient de  choisir l’institution en tant que thématique de réflexion.

Le lien entre développement durable et institution peut sembler étrange. Pourtant, du moment que le développement durable est conçu comme une autre manière de penser le vivre-ensemble et pas  seulement comme une question touchant à l’environnement naturel, la question de  l’institution devient centrale. De fait, la crise écologique interroge le fondement même de la vie en société. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de gestion des ressources naturelles, mais plus profondément d’une question concernant le socle sur lequel s’est construite notre vie commune, autant au niveau local que planétaire. Si les ressources naturelles se dégradent et se font aujourd’hui de plus en plus rares, ceci ne relève pas uniquement d’un problème technique, mais surtout d’un problème sociétal, qui interroge autant le sens de la vie ensemble que la manière de l’organiser. Et l’institution joue un rôle essentiel à ce niveau, car toute la vie collective est organisée autour des institutions.

Or, toutes les grandes institutions autour desquelles se sont construites les sociétés contemporaines sont aujourd’hui en profonde mutation : la famille, l’école, l’Etat, l’Europe, les institutions internationales. Ces mutations sont une opportunité pour penser d’une manière radicalement nouvelle l’institution, ou plutôt le processus d’institutionnalisation. Et au cours de la réflexion, une clé est apparue pour développer une approche nouvelle sur l’institution : la fragilité. Habituellement considérée comme un problème à résoudre ou un manque à combler, la fragilité peut être perçue, au contraire, comme ce qui, dans un processus d’institutionnalisation introduit de la plasticité, du mouvement et de l’interdépendance. A travers une approche positive de la fragilité, se dégage ainsi une autre manière de penser l’institution.

Une  première synthèse du résultat de cette réflexion collective a été publiée dans le numéro de décembre 2014 de la Revue Etudes. Il s’agit de l’ouverture d’un chantier à creuser plutôt que des conclusions d’une réflexion achevée. Mais cette ouverture permet d’ores et déjà de commencer à ébaucher une nouvelle représentation de l’institution. La fragilité conduit ainsi à penser l’institution sous le mode de la fécondité plutôt que de la force, sous le mode du rapport à l’altérité plutôt que sous celui du contrôle, et dans une logique d’habilitation (empowerment) plutôt que de domination. L’institution peut ainsi devenir un lieu d’engendrement plutôt que d’imposition, un lieu qui fait place à la diversité plutôt qu’à la seule uniformité, un lieu qui permet à chacun de déployer sa propre créativité plutôt que d’exiger que tous fassent pareil.

La crise écologique a introduit de la fragilité dans notre conception de l’humain et du vivre-ensemble, nous faisant faire une expérience radicale de finitude. Mais cette fragilité est peut-être une opportunité pour repenser l’institution en termes de fécondité plutôt que de puissance.

A nous de la saisir !

Partout sur le continent européen, les élections régionales, nationales et européennes ont été marquées par une nouvelle montée de partis qui défendent la suprématie d’intérêts nationaux étriqués sur les valeurs humaines universelles ou sur les obligations et engagements internationaux. (…)

Ce qui nous inquiète, c’est la tendance accrue à rechercher le pouvoir et la popularité grâce à des programmes politiques simplistes et à des slogans assénés dans l’idée que la prospérité et la sécurité ne peuvent être réalisées que par le biais de mesures nationales unilatérales, et si nécessaire, au détriment des autres peuples. Ces slogans font régulièrement la une des médias traditionnels qui leur donnent une caisse de résonance, et finissent par donner une orientation nationaliste à l’agenda politique général d’un pays. D’expression souvent raciste et xénophobe, ils rappellent inévitablement les politiques bellicistes  et ultranationalistes menées avant les deux guerres mondiales. En suggérant que la nation, la nationalité et leurs mythes fondateurs sont la bonne réponse aux défis actuels, ces partis et leurs défenseurs renvoient à un paradigme d’exclusion qui ne manquera pas d’aggraver la situation plutôt que d’apporter la moindre solution.

Le « nationalisme de l’exclusion » est contraire à la dignité humaine. Il représente un déni de justice en cela qu’il définit les droits fondamentaux en fonction de l’origine nationale, raciale ou religieuse, et – in fine – il menace la cohésion sociale au niveau local et la paix entre les pays européens. (…)

En jouant sur les craintes les plus profondes, les responsables politiques nationalistes et populistes tentent de gagner le pouvoir grâce aux solutions simples qu’ils offrent, sans expliquer qu’une solution fondée sur l’injustice et la marginalisation d’une partie de la société ne créera jamais les conditions d’une communauté pacifique et progressiste. Il n’existe aucune réponse rapide et facile aux défis structurels profonds posés par des sociétés plurielles et par une économie mondialisée.

La question de la migration est l’exemple parfait de cette tendance à ignorer les réalités. (…)

Dans les discours des partis nationalistes, l’Union européenne est rendue responsable de la crise économique actuelle, des inégalités sociales et du chômage. En conséquence, ces partis prétendent souvent qu’une sortie de l’Union européenne s’impose. (…)

Comment contrer le nationalisme de l’exclusion ? La réponse devra tous nous impliquer, car elle est liée à nos valeurs européennes communes au cœur desquelles repose le respect de la dignité humaine. (…) Après avoir fait le constat des craintes qui dominent dans l’Europe contemporaine et après avoir reconnu nos propres incertitudes, acceptons les leçons que nous enseigne l’histoire : la guerre entre les nations est la pire des choses. La violence raciste et xénophobe, dans les mots ou dans les actes, est inacceptable d’un point de vue moral et légal. (…)

La vision chrétienne d’une justice et d’une paix universelles ne laisse aucune place au chauvinisme. (…)

En conséquence, nous recommandons:

  • de concevoir des politiques économiques et sociales permettant aux populations de trouver un emploi valorisant et d’assumer leurs responsabilités envers eux-mêmes et leur famille ; des politiques qui leur offrent un véritable soutien lorsqu’elles sont confrontées aux écueils inévitables de la vie ;
  • de concevoir une politique européenne de la migration cohérente, qui prévoit une véritable mutualisation des responsabilités ainsi que des mesures visant à lutter contre toutes les formes de migration forcée. (…)

Nous exhortons les citoyens européens, les organisations de la société civile et les Eglises à :

  • discuter de la valeur d’une identité forte pour une société inclusive où règne une solide cohésion sociale ;
  • s’insurger contre toutes les expressions de rhétoriques nationalistes dans la vie publique et dans la vie privée et les contester ;
  • renforcer la démocratie, la solidarité et le respect de la dignité humaine par l’éducation et la force de l’exemple ;
  • valoriser la dignité humaine, comme élément essentiel de notre patrimoine européen commun.