Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Un Kairos planétaire

 

L’espérance face à l’avenir

 

Un monde est en train de s’écrouler : celui qui pensait le développement comme croissance infinie. L’humanité fait face à l’expérience angoissante de sa finitude. Comment parler d’infini dans un monde fini ?

L’espérance chrétienne est fondée sur une idée de promesse qui n’est pas celle d’un but prédéfini à atteindre, mais celle d’un appel qui met en marche vers un meilleur possible. L’image de la « terre promise » qui va mettre en marche le peuple de Dieu premièrement derrière Abraham, et ensuite derrière Moïse, illustre bien cette idée d’une promesse qui met debout et en chemin vers un avenir meilleur mais dont on ne connaît pas la forme concrète qu’il pourra avoir. Aujourd’hui c’est le moment opportun pour dessiner à nouveau cet imaginaire de la « terre promise » et d’un développement qui pourrait être porteur de vie « pour tout l’homme et pour tous les hommes ». Un nouveau style de vie qui mobilise une autre manière de consommer et de produire, de se déplacer et d’habiter l’espace est déjà en construction. Une autre expérience du temps qui valorise la lenteur et le long terme plutôt que l’immédiateté et le court-termisme est envisageable. Une nouvelle représentation de « la vie bonne » est aujourd’hui à construire : une vie qui assure à chacun la possibilité d’être reconnu comme co-créateur et pas seulement comme consommateur.

 

L’universalité du bien commun

 

Face à la crise, le premier réflexe est celui du repli sur soi : on s’enferme pour mieux se protéger. Les négociations en cours, autant par rapport au climat que par rapport à la suite des OMD, révèlent à quel point, face à la difficulté, chaque pays essaye de défendre son intérêt particulier. Or, si chaque État reste cantonné dans la défense de son intérêt propre, c’est la planète entière qui va couler et chacun des États avec elle. Le changement climatique est aujourd’hui la preuve la plus évidente d’une interdépendance irréversible entre tous les pays. Aucun pays ne peut aujourd’hui prétendre à s’en sortir tout seul. Les efforts de réduction de gaz à effet de serre faits par un seul pays n’ont aucun effet s’ils ne sont pas suivis de manière généralisée. La politique fondée sur la défense de l’intérêt particulier conduit aujourd’hui à une impasse de mort.

L’Église, par contre, prône l’universalité du bien commun. Cette universalité s’est même traduite en termes d’une nécessaire « autorité mondiale ». Passer d’une politique nationale à une politique universelle suppose un changement radical de logique.

 

La solidarité comme socle du vivre-ensemble

 

Les mutations contemporaines menacent l’ensemble des humains, mais certains le sont plus que d’autres : les plus pauvres sont plus menacés que les plus riches, et les générations à venir plus que les générations présentes. La précarité énergétique dont souffre déjà une bonne partie de nos concitoyens, ainsi que la sécheresse et les inondations qui menacent la vie des populations plus pauvres, en témoignent.

La solidarité s’érige comme principe organisateur de la vie collective. Elle est fondée sur l’idée que chaque homme et chaque femme ont quelque chose à donner et quelque chose à recevoir d’autrui. Le pauvre est appelé, comme toute personne, à être co-créateur et à mettre ses compétences au service d’un projet commun.

Le jihad en Syrie et en Irak a attiré environ 15 000 volontaires étrangers, dont 3 000 Occidentaux. Parmi ces derniers, de nombreux Français.

Les chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur en novembre 2014 sont impressionnants : 1132 résidents français étaient alors impliqués dans les filières jihadistes. 376 étaient présents en Syrie ou en Irak, plus de 300 étaient décidés à partir de France, 184 étaient en transit, 199 avaient quitté les zones de guerre (dont 109, de retour en France, avaient été mis en examen) et 49 étaient décédés.

Ces individus ont des profils variés : si les jeunes issus de familles musulmanes, ayant un faible niveau scolaire et des difficultés à s’insérer professionnellement semblent surreprésentés, on trouve aussi nombre d’individus ayant abandonné en France un emploi stable et convenablement rémunéré. Le nombre de convertis est élevé – probablement supérieur à 20%. Les femmes sont nombreuses : environ 250. Si les cas d’adolescents ayant rejoint la Syrie ont particulièrement défrayé la chronique, la moyenne d’âge n’est en réalité pas si basse : elle se situerait aux alentours de 25 ans. L’origine géographique des jihadistes est tout aussi variée : plus de 80 départements français comptent au moins un jihadiste en Syrie ou en Irak. Internet et les réseaux sociaux ont facilité cette forme de décentralisation qui permet à l’idéologie de l’Etat islamique (EI) ou de Jabhat al-Nosra d’arriver jusqu’aux coins les plus reculés de Normandie ou du Languedoc-Roussillon.

Pour mieux appréhender le phénomène du jihad en Syrie et en Irak, il convient de le remettre dans une perspective historique, puis d’avancer certaines raisons expliquant l’engouement qu’il suscite. Ce n’est qu’ensuite que les mesures mises en place par la France pour lutter contre les filières jihadistes pourront être discutées.

 

Les jihads de l’ère moderne

Le phénomène de l’afflux de jihadistes étrangers vers une zone de conflit n’est pas nouveau. L’occupation de l’Afghanistan par l’Union soviétique dans les années 1980 a ouvert l’ère du jihad moderne. En 1984, Oussama Ben Laden et Abdallah Azzam créent à Peshawar une structure appelée le « bureau des services » – l’ancêtre d’Al Qaïda – chargée d’accueillir les volontaires arabes désireux de soutenir les moudjahidines afghans. En 1984 également, Azzam publie un livre intitulé La défense des territoires musulmans, dans lequel il affirme que le jihad en Afghanistan est une obligation individuelle pour tous les musulmans. Cette affirmation constitue une innovation doctrinale majeure puisqu’elle déterritorialise le jihad. En effet, jusqu’alors, l’obligation individuelle de faire le jihad ne s’appliquait qu’aux habitants du territoire concerné. L’appel d’Azzam est entendu : de 1984 à 1989, le « bureau des services » attire des milliers de combattants arabes. Les estimations varient grandement selon les sources : entre 3 000 et 25 000.

Les conséquences de ce jihad afghan se sont fait sentir sur le long terme. Le retour des jihadistes dans leur pays d’origine  a été un  facteur de déstabilisation, le cas le plus emblématique étant celui de l’Algérie où les « Afghans » ont nourri la dynamique de la guerre civile. Dans la mythologie jihadiste, le jihad en Afghanistan occupe une place spécifique, d’une part parce qu’Al Qaïda y trouve son origine et d’autre part, parce que les jihadistes sont convaincus qu’ils ont réussi à battre l’Armée rouge et, au-delà, à abattre l’Union soviétique. Les jihadistes jouiraient ainsi d’une supériorité morale qui leur permettrait de vaincre n’importe quel ennemi.

D’autres jihads ont suivi dans les années 1990 et la première décennie des années 2000 – Bosnie, Tchétchénie, Afghanistan post-2001, Irak post-2003 –, mais aucun n’a suscité le même engouement que celui des années 80 contre l’Union soviétique. Ce qui se lit dans les chiffres de volontaires affluant vers ces zones de conflits : pour ce qui est des jihadistes français, les départs vers chacun de ces théâtres se sont comptés en dizaines. Aujourd’hui, le jihad en Syrie et en Irak concurrence, dans l’imaginaire jihadiste, celui contre l’Union soviétique et ce, pour plusieurs raisons.

 

Les raisons de l’engouement pour le jihad en Syrie et en Irak

Au moins trois types de raisons – théologiques, historiques et pratiques – contribuent à expliquer pourquoi le jihad en Syrie et en Irak suscite un tel engouement. Au niveau théologique, tout d’abord, la Syrie est englobée dans ce que les jihadistes appellent « le pays de Cham ». Ils expliquent souvent que cette zone est magnifiée dans le Coran, et qu’elle constitue la deuxième région la plus importante dans l’islam après la péninsule arabique. Elle est, en tout état de cause, bien plus importante que le Khorasan, expression employée par les jihadistes pour parler de l’Afghanistan et d’une partie de l’Asie centrale. En outre, des cheiks influents, comme Youssef al Qaradawi, ont appelé au jihad en Syrie. Venir en aide aux populations massacrées par le régime alaouite de Bashar el-Assad est ainsi vu comme un acte légitime dans une grande partie du monde sunnite.

Au niveau historique, la Syrie et l’Irak ont été le cœur du califat abbasside, de 750 à 1258. Pendant une brève période, la ville de Raqqa – aujourd’hui un des principaux bastions de l’EI – en a d’ailleurs été la capitale. Or le chef de l’EI, Abou Bakr al Bagdadi, accorde une importance particulière à la notion de califat : à l’été 2014 il s’est autoproclamé calife, et a, par là-même, pris de court Al Qaïda dont les chefs conçoivent traditionnellement la restauration du califat comme l’aboutissement à long terme de leur lutte. Le califat se veut transnational et l’EI a beaucoup joué sur la symbolique de l’effacement des frontières héritées des accords Sykes-Picot.

En plus de ces aspects théologiques et historiques,  des raisons pratiques expliquent aussi l’attrait exercé par le jihad en Syrie et en Irak. La Syrie est facilement accessible, via la Turquie. Quelques centaines d’euros suffisent pour se rendre à Istanbul puis à la frontière turco-syrienne, et il n’est pas nécessaire d’avoir un visa, ni même un passeport, pour ce faire : une simple carte d’identité suffit. Par ailleurs, il est très aisé d’échanger sur les réseaux sociaux avec des jihadistes déjà présents en Syrie, qui peuvent donner des conseils utiles pour rejoindre ce pays. Ainsi le web social n’est pas seulement un vecteur de propagande pour l’EI ou Jabhat al Nosra mais une véritable plateforme organisationnelle.

L’engouement pour le jihad en Syrie et en Irak a de quoi inquiéter les autorités des pays occidentaux. Les responsables politiques français craignent en particulier que des combattants ne reviennent en France et ne commettent des attentats, en s’inspirant de Mohammed Merah ou de Mehdi Nemmouche. Ils s’attèlent à prévenir un tel scénario.

 

La lutte contre les filières jihadistes

Pour lutter contre l’EI, la France cherche à agir à la source en participant, depuis le 19 septembre 2014, aux frappes de la coalition internationale. Les moyens déployés sur le théâtre des opérations – 9 Rafale, 6 Mirage 2000-D, un ravitailleur C 135FR, un Atlantique II et une frégate anti-aérienne – ne sont pas négligeables au regard des capacités et des engagements actuels des armées françaises. Sur le territoire français, une approche policière et judiciaire est privilégiée. En avril 2014, le ministre de l’Intérieur a ainsi annoncé la mise en place d’un plan de lutte contre la radicalisation, qui s’est d’abord traduit par l’ouverture d’un numéro vert destiné aux proches de personnes en voie de radicalisation. De la fin avril au début du mois de novembre, 625 signalements « pertinents et avérés » ont été effectués. Sur ces 625 signalements, une centaine de personnes avaient déjà quitté le territoire français.

En novembre 2014, le dispositif français a été renforcé par l’adoption d’une nouvelle loi anti-terroriste. Cette loi comprend trois points essentiels. Premièrement, elle permet des mesures d’interdiction administrative de sortie du territoire. Concrètement, un individu souhaitant se rendre sur une terre de jihad pourra se voir retirer, pour une durée maximale de deux ans, son passeport et sa carte d’identité. S’il tente de quitter le territoire français, il pourra être condamné à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Cette mesure ne sera pas infaillible dans la mesure où les frontières nationales sont poreuses : un individu déterminé à quitter la France n’aura pas grande difficulté à le faire malgré l’interdiction. En outre, un individu faisant l’objet d’une mesure d’interdiction de sortie pourra être tenté de passer à l’acte directement sur le territoire national.

Deuxièmement, la notion d’ « entreprise terroriste individuelle » est spécifiée dans la nouvelle loi. Cette mesure vise à prendre en compte l’évolution de la menace terroriste et à prévenir le passage à l’acte de « loups solitaires ». Cette innovation permettra sans doute de condamner et d’incarcérer   des personnes dangereuses. Reste cependant à  améliorer la prise en charge des jihadistes dans les prisons, pour qu’ils ne puissent pas radicaliser d’autres prisonniers. Reste aussi à améliorer le suivi des détenus après leur sortie de prison. En novembre 2014, un premier jihadiste de retour de Syrie a été condamné à 7 ans de prison. Que deviendra cet individu une fois sa peine purgée ? Comme l’a tragiquement rappelé l’attentat contre Charlie Hebdo, cette question se pose aussi pour les individus incarcérés dans de précédentes affaires de filières jihadistes, notamment du temps de la guerre en Irak, au milieu des années 2000.

Troisièmement, la nouvelle loi comprend des dispositions sur l’utilisation du web par les jihadistes.

Elle permet notamment de sanctionner lourdement (jusqu’à 7 ans de prison) l’apologie du terrorisme sur Internet, et prévoit la possibilité pour l’autorité administrative de demander aux fournisseurs d’accès de bloquer certains sites web. Cette dernière mesure risque d’être peu efficace : il est facile, à l’aide de logiciels téléchargeables gratuitement, de contourner un tel blocage et, d’autre part, la propagande jihadiste sur le web se trouve aujourd’hui pour l’essentiel sur des plateformes grand public – comme Facebook –, qu’il n’est pas envisageable de bloquer.

 

Pour que l’arsenal législatif anti-terroriste soit utile, encore faut-il que les terroristes soient repérés, arrêtés et présentés à des juges. Le travail des services de renseignement est donc essentiel. En 2014, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a été transformée en Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), et une augmentation de ses effectifs a été annoncée. Ils  passeront à environ 3700 dans les trois prochaines années. Quand on sait que la filature complète d’un individu nécessite une quinzaine d’hommes, et que le jihadisme n’est qu’un des sujets traités par la DGSI, il ne serait guère surprenant que d’autres attentats surviennent dans les prochaines années.

On peut bien se l’avouer, ces premières semaines de l’année 2015 furent éprouvantes, pour la France aussi.

Les tueries menées les 7 et 8 janvier comme des opérations commando et les cibles choisies, humoristes, juifs, policiers, ont causé l’une des émotions populaires les plus fortes de ces dernières décennies. Les rassemblements organisés partout ont ensuite répondu à un vrai désir de communion citoyenne: on avait besoin de sentir la présence des autres, presque physiquement.

Un grand désir d’unité s’est exprimé. Mais l’ampleur de la tâche n’échappe à personne. Car l’engagement dans le « vivre ensemble » ne passe pas simplement par le fait d’être ou non Charlie. Pour l’avenir la bonne question serait plutôt: « Voulons-nous être citoyens, ensemble »? Et je l’assortirais volontiers d’une seconde qui me vient souvent devant la diversité de notre société: « Nous réjouissons-nous de ce bonheur d’être divers? »

Si nos réponses ne semblent pas encore très assurées, une chose retient pourtant très fortement mon attention : notre pays où la peur est aujourd’hui très vive s’est cependant réveillé avec une image des musulmans qui se consolide positivement  (enquête Ipsos de fin janvier). Paradoxe? Non, car les déclarations des responsables musulmans, des divers responsables religieux et des hommes d’État ont été à la hauteur d’un pays uni pendant les dernières semaines. Non doublement, parce que les attentats ont démontré l’absurdité de confondre ces barbares avec des citoyens français musulmans assumant leur quotidien comme tout le monde. Cette enquête est un signe encourageant pour ces derniers, au comble de l’inquiétude actuellement.

Mais  le bonheur d’être divers reste à découvrir. Un changement de regard des institutions républicaines sur les religions peut y aider. Car la religion ne peut pas être vue simplement comme un obscurantisme, ou au mieux un archaïsme à faire disparaître grâce aux  lumières de la raison. Si les grandes religions ont traversé les siècles, c’est d’abord grâce à la foi de leurs fidèles, ensuite en bénéficiant de soutiens politiques, mais aussi en élaborant peu à peu une pensée complexe sur le monde, l’homme et les fins ultimes. Cette pensée honore par bien des aspects les nobles exigences de la raison. Il faudrait donc développer les échanges et les débats entre tous ceux qui raisonnent, y compris les théologiens.

Peut-être redécouvrirons-nous alors que la religion est moins une affaire privée qu’une affaire personnelle. Nos principes républicains garantissent la liberté de chaque personne d’adhérer ou non à une conviction. Ils défendent avant tout cette liberté de choix personnel. Mais cette liberté garantie, pourquoi l’évocation d’une conviction religieuse hors de l’espace privé deviendrait-elle forcément une menace ? De toute façon, le législateur continuera à réguler l’expression publique des convictions afin qu’elles se rencontrent d’une manière civilisée. Et en ce qui concerne  les mentalités, peut-être conviendrait-il d’accueillir vraiment la manière dont chacun cherche le sens de sa vie: parler ensemble du sens de la vie n’est pas impossible ! Dans le respect de la conviction de chacun, cela devrait être possible, même au sein des écoles.

En mettant la personne au centre, le Concile Vatican II a pu réajuster son regard sur les autres religions. Reconnaître l’autre, c’est découvrir ce qui est précieux pour lui, ce qui lui permet d’affronter la question du sens. Cette quête s’exprime souvent dans la piété populaire qui ressaisit des siècles de culture. Enracinés en elle, certains ont développé un sens presque inné de ce qui est bénéfique ou néfaste. Nombreux sont les musulmans et les chrétiens sans grande formation religieuse qui ont la ferme conviction que tuer au nom de Dieu est un parfait non-sens. On peut regretter qu’ils ne sachent pas l’argumenter, mais l’authenticité de leur conviction les mène vers les sommets, comme ces soldats quittant leurs tranchées pour quelques heures de trêve spontanée, la nuit de Noël 1914, ou comme le garde-champêtre algérien à qui Christian de Chergé[1] devait la vie.

Tout ce qui nous permet de comprendre que nous sommes une même famille humaine est à développer: rencontres, convivialité, entraide, action solidaire, partage, espaces d’échanges libres et gratuits, tel ce forum national islamo-chrétien, qui a lieu chaque année en Rhône-Alpes depuis 4 ans. Une simple journée « portes ouvertes » permet au citoyen lambda de découvrir la mosquée de son quartier ou la paroisse ainsi que leurs communautés. Sans syncrétisme, il est tout à fait possible d’élargir l’espace de nos tentes, comme cela sera proposé aux chrétiens et aux musulmans le 21 mars 2015 à la basilique de Longpont-sur-Orge (Essonne), pour un rassemblement « ensemble avec Marie ». Inspirée d’une pratique libanaise cette rencontre proposera aux chrétiens et aux musulmans de méditer ensemble la visite de l’ange à Marie/Maryam relatée dans l’Évangile et dans le Coran. .

Bien sûr, il reste beaucoup à faire pour nous autoriser à aller les uns vers les autres. Il reste à consentir dans nos différentes communautés, un grand effort pédagogique pour former des consciences fraternelles devant la diversité religieuse. N’attendons plus pour donner place à l’autre dans nos discours, nos catéchismes, nos prêches et nos homélies. N’attendons plus pour lui donner place en nos cœurs ! La route est longue mais certains l’ont déjà ouverte : à Carcassonne, une nuit de Noël 2013, des musulmans poussaient la porte d’une église alors que la procession se dirigeait vers la crèche et remettaient des cadeaux pour Jésus aux célébrants assez étonnés. Récemment, dans une église de Lorraine que je connais bien, le concepteur de la crèche n’a pas hésité à placer dans le décor, la reproduction d’une mosquée existant dans un bourg voisin. C’est anachronique bien sûr, mais je crois me rappeler que le Christ vient naître au milieu des hommes et pas simplement au milieu des chrétiens. Il faut préparer la route au Seigneur.

[1] Prieur du monastère de Tibhirine, assassiné en en 1996