Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

La situation des chrétiens à Alep et en général la situation politique sont très pénibles, surtout depuis l’apparition du groupe Etat islamique sur la scène locale et régionale.

Ce groupe a  réussi à semer la terreur. Il semble que nous entrions dans une nouvelle étape de la crise syrienne sans mesurer encore l’ampleur de ce qui va advenir. Depuis les évènements de Mossoul et de la plaine de Ninive et le déplacement de plusieurs milliers de chrétiens irakiens, l’inquiétude est encore montée d’un cran. Beaucoup de familles qui n’avaient jamais pensé à émigrer y songent désormais sérieusement. Pour l’Eglise et pour le pays, c’est une grande perte dont l’Occident est complétement inconscient.

Nous aurions souhaité une plus grande mobilisation, notamment des médias. Reconnaissons au pape François le courage qu’il a eu d’exprimer sa solidarité avec les chrétiens de la région. Je sais aussi que les chrétiens de France sont très généreux vis-à-vis des chrétiens de Syrie (…) Disons que nous souhaitons une défense politique plus engagée encore. (…)

Prier, cela peut nous rappeler que la dernière parole n’est pas aux armes, contrairement à ce que pensent les puissants de ce monde, mais à l’amour de Dieu manifesté en Jésus mort et ressuscité pour le salut des hommes. (…).

Extraits d’une interview par Romain Mazenod, Prions en Eglise, janvier 2014.

 

Transparence dans les industries extractives : au 1er janvier 2015 une nouvelle loi imparfaite.

Communiqué de presse du 18 décembre 2014 des Plateformes « Publiez Ce Que Vous Payez » et « Paradis Fiscaux et judiciaires », dont Justice et Paix est membre.

 

La loi qui introduit l’obligation pour les entreprises pétrolières, gazières, minières et forestières de publier tous les paiements faits à des gouvernements, projet par projet dans chaque pays où elles mènent des activités d’exploitation ou d’exploration, a été définitivement adoptée par le Parlement ce 17 décembre. Cette loi transpose en droit français les directives européennes Transparence et Comptable adoptées par le Parlement européen en juin 2013.

Il s’agit d’une étape importante vers la transparence et la lutte contre la corruption dans un grand nombre de pays riches en ressources naturelles.

« Les deux tiers des populations les plus pauvres vivent dans des pays riches en ressources naturelles. Cette loi va permettre de renforcer les normes mondiales sur la transparence et la gouvernance de ces secteurs où l’opacité a privé les populations de revenus essentiels pour le financement des services publics et des infrastructures nécessaires à leur développement », souligne Martin Willaume, coordinateur de la coalition PCQVP en France.

A partir du 1er janvier 2015, les grandes entreprises minières, pétrolières, gazières et forestières enregistrées et/ou cotées en bourse en France, telles que Total, Areva ou Eramet devront en effet rendre publics tous les paiements égaux ou supérieurs à 100 000 € versés à toute autorité nationale, régionale ou locale d’un pays tiers, projet par projet dans chaque pays d’exploration ou d’exploitation. Les premiers rapports sur l’activité 2015 seront publiés en France en 2016.

« Cette loi est un pas en avant pour la transparence en Afrique. Nous allons pouvoir obtenir le détail des paiements effectués par les entreprises françaises comme Total à notre gouvernement. Cela nous permettra de demander des comptes à notre pays pour que ces revenus issus du pétrole profitent à tous. Ces rapports seront accessibles gratuitement sur internet et il est important qu’ils puissent être publiés sous un format utilisable et ouvert », ajoute Brice Mackosso, coordinateur de PCQVP pour la République du Congo.

Si le vote de cette loi française est un progrès important dans la lutte contre la corruption, il reste cependant une occasion manquée pour les autorités françaises de combattre l’évasion fiscale. En refusant d’utiliser cette loi de transposition pour obliger les entreprises extractives et forestières à publier les chiffres sur leurs implantations pays par pays – une obligation pourtant faite aux banques depuis cette année –, les députés et sénateurs privent les citoyens français et ceux des pays hôtes d’un outil indispensable pour traquer les montants qui transitent par les paradis fiscaux.

 

Revisiter l’institution à partir de la fragilité

Article du groupe Développement de Justice et Paix (Elena Lasida, Luc Champagne, Jacques Debouverie, Jean-Luc Dubois, Michel Lepetit, Bernard Perret, André Talbot) publié dans Etudes de décembre 2014.

La relation entre institution et fragilité est paradoxale. Pourtant, si l’on comprend la première comme base de la société, lieu où l’individu se construit avec d’autres, sa fragilité contribue à sa plasticité et à sa capacité de renouvellement. Elle corrige en particulier le danger de domination qui caractérise souvent l’institution et entraîne son rejet. L’individu peut se sentir créateur de l’institution, plutôt que sa victime.

Le message du Pape François pour la Journée mondiale de la Paix est dans le droit fil de celui de 2014, intitulé : « La fraternité, fondement et route pour la paix ».

Le style est plus incisif encore puisque l’esclavage porte un coup mortel à cette fraternité universelle et, par conséquent, à la paix.

L’homme, être relationnel, s’épanouit et se réalise en tissant des rapports interpersonnels inspirés par la justice et la charité. Ainsi, « la fraternité constitue le réseau de relations fondamentales pour la construction  de la famille humaine » (2,3)

L’esclavage n’est-il pas aboli ? Si, dans le passé, l’institution de l’esclavage a pu être acceptée et régulée par le droit, ce crime de lèse-humanité est aujourd’hui fermement condamné par le droit international. Or il prend de nos jours des formes nouvelles et multiples, lorsque « des millions de personnes sont contraintes à vivre dans des conditions assimilables à l’esclavage » (3,3).

Le Pape énumère un certain nombre de situations : « travailleurs et travailleuses, même mineurs, asservis », « les conditions de vie souvent inhumaines de nombreux migrants » contraints à un « travail esclave », « les personnes contraintes de se prostituer et les esclaves sexuels », « les mineurs et adultes qui sont objet de trafic et de commerce pour le prélèvement d’organes », ceux qui sont « enrôlés comme soldats ou pour des activités illégales comme la production et la vente de stupéfiants », « ceux qui sont tenus en captivité par des groupes terroristes »… La liste est longue, comme pour mieux secouer « l’indifférence générale » et nous convaincre « de résister à la tentation de nous comporter de manière indigne de notre humanité » (1,1).

Quelles en sont les causes ? « A la racine, il y a la conception de la personne humaine qui admet de la traiter comme un objet », et donc « la négation de l’humanité dans l’autre ». Parmi les causes, il y a d’abord la pauvreté : les victimes de trafic ne sont-elles pas le plus souvent des personnes qui ont cherché à sortir d’une situation de précarité extrême, et qui sont tombées entre les mains de criminels qui gèrent le trafic des êtres humains ? (4,2) Il y a évidemment la corruption, « quand au centre d’un système économique se trouve le dieu argent et non la personne humaine ». S’ajoutent encore les conflits armés, la criminalité et le terrorisme, au sein de réseaux qui utilisent habilement les technologies informatiques pour appâter les victimes.

Après avoir souligné le travail effectué par « de nombreuses congrégations religieuses, surtout féminines » en faveur des victimes, le Pape appelle à un engagement commun de tous les acteurs de la société pour éliminer la culture de l’asservissement. Ceci, en trois domaines prioritaires : la prévention, la protection des victimes et l’action judiciaire à l’égard des responsables. Aux Etats d’édicter des lois justes qui défendent les droits fondamentaux de la personne humaine, et qui ne laissent pas prise à la corruption et à l’impunité. Les organisations intergouvernementales doivent se coordonner pour combattre les réseaux de crime organisé. Les entreprises sont invitées à la vigilance, et le Pape en appelle à la responsabilité sociale du consommateur : « acheter est, non seulement un acte économique, mais toujours aussi un acte moral ». La Saint-Siège, pour sa part, prend des initiatives pour briser l’indifférence et susciter des collaborations.

« Reconnaître en l’autre, quel qu’il soit, un frère et une sœur en humanité », « faire des gestes de fraternité à l’égard de ceux qui sont tenus en état d’asservissement », et surtout « ne pas se rendre complices de ce mal » : résister à « la mondialisation de l’indifférence » en nous mobilisant pour « une mondialisation de la solidarité et de la fraternité » qui donne l’espérance ! Tel est l’appel du pape François qui ne manque pas de nous rappeler la question ultime : « Qu’as-tu fait  de ton frère ? »