Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Le 9 juin prochain, les Français sont appelés aux urnes pour élire leurs nouveaux représentants au Parlement européen. Nous avons réalisé une enquête qualitative, en partenariat avec la Fondation Hippocrène, France Nature Environnement, le Mouvement européen France et le Réseau Action Climat, en interrogeant 4 groupes de Français au cours de 8h de discussions, recrutés parmi des personnes encore incertaines de se rendre aux urnes en juin

Les enseignements clés :
1. Une grande déconnexion entre les Français et l’Europe, liée à la perception d’un silence médiatique sur le sujet, et d’une Europe qui ne saurait pas « faire sa pub ». Cette déconnexion produit une grande ignorance du fonctionnement et des enjeux de l’Europe, sur laquelle les Français projettent leur référentiel national : “On ne sait pas quand ils siègent. Est-ce qu’ils ont un 49.3 européen ?”
2. La tiédeur de l’évidence : les valeurs démocratiques européennes ne sont plus source de mobilisation, car souvent davantage attachées à la France qu’à l’Europe. C’est sur le mode passif qu’elles sont appréhendées, ou avec idéalisme chez les plus jeunes, qui critiquent l’absence d’une union et d’une harmonisation parfaites. Dans ce contexte, la fierté d’être Européen est minoritaire.
3. L’Europe d’il y a 20 ans : seules les politiques mises en place au tournant des années 2000, de l’espace Schengen à la monnaie unique, ou encore le programme Erasmus, plus ancien encore, marquent les esprits. L’Europe pratique, qui permet par exemple l’harmonisation des câbles USB-C, est aussi plébiscitée par les Français. Mais les transformations opérées par l’UE ces dernière années, tout comme ses politiques structurantes, à commencer par le Green Deal, sont absentes de leur vision de l’Europe.
4. L’aspiration à une Europe écologique : si l’action environnementale et climatique de l’Europe est encore très floue, l’échelle européenne est perçue comme pertinente pour faire face à ces enjeux. C’est autour du triptyque « boire, manger, respirer », plutôt que d’enjeux techniques, que les Français nous en ont parlé.

Lire l’étude complète sur  Destin Commun, ici

Rony Brauman, médecin juif engagé depuis 1977 dans l’humanitaire (président de Médecins sans Frontières de 1982 à 1994), dénonce depuis des années la politique de l’Etat d’Israël.
Il propose ici son analyse du conflit israélo-palestinien, dont le niveau de violence a atteint son paroxysme depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023. Il déplore les massacres perpétrés et l’horreur d’une situation dont on peine à envisager la moindre issue. Il se montre très critique face à la politique de destruction conduite par Israël, sous le regard complaisant d’un Occident complètement dépassé.

Sa rupture avec le sionisme
Il est né en 1950 à Jérusalem de parents français sionistes ayant rejoint l’Etat d’Israël en 1948. Il a été sioniste pendant sa jeunesse, influencé par un père convaincu de la propriété collective de cette terre par les Juifs.
A partir de 1988, trois faits majeurs lui ouvrent les yeux sur la réalité de l’occupation, de la loi militaire, de l’apartheid :
– 1988-89 : la 1re Intifada lui révèle l’existence des Palestiniens, jusqu’alors niée par la société israélienne.
– 1990 : avec la chute de l’Union soviétique, les Palestiniens n’apparaissent plus comme le faux-nez de l’URSS dans le contexte de la guerre froide.
– 1991 : le film « Izkor, les esclaves de la mémoire » d’Eyal Sivan sur notamment l’enseignement de la Shoah en Israël, le conduit à prendre ses distances avec le sionisme. « Le rideau s’est déchiré et depuis je n’ai plus été sioniste ».

Sa vision du 7 octobre 2023 :
Au début, ce fut une légitime et remarquable opération militaire des factions palestiniennes pour sortir de l’enfermement. Puis c’est l’horreur des exactions commises contre des civils. Il est aussi surpris par le haut niveau de violence d’Israël, même s’il s’attendait à une riposte violente : 25 000 morts à ce jour dont une part élevée d’enfants et de femmes, un taux de destruction semblable à celui des villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale (encore plus choquant ici car les civils ne peuvent s’enfuir de l’enclave).
Cette punition collective est assumée par les dirigeants israéliens (qui considèrent tous les Gazaouis comme complices du Hamas) et leur vengeance est cruelle (les citoyens israéliens sont invités à dédicacer les missiles qui vont tuer les Palestiniens !) L’objectif est de rendre Gaza inhabitable. L’angoisse de cette guerre, c’est que toutes les autres dans l’histoire laissaient voir une issue même si elle n’était pas toujours glorieuse. « Pas celle-là, ce qui rajoute au sentiment d’écrasement que je ressens. »

Peut-on parler de génocide ?
« Il est sain que ce terme monte dans l’opinion, vu les propos atroces des dirigeants israéliens qui cherchent une « solution finale » pour faire disparaître les Palestiniens. »
Dans le cas de la guerre au Darfour, par ex., qui a débouché sur l’accusation de génocide, les juristes ont estimé qu’il y avait suffisamment d’éléments pour mobiliser la convention de 1948 sur le génocide, alors qu’elle n’a pas été plus violente que la répression israélienne actuelle.
Surtout, la convention de 1948 invite ses signataires à tout faire pour prévenir le risque de génocide ; or on s’achemine vers un génocide.

« Terroristes » ou « résistants » ?
La phrase « Israël a le droit de se défendre » est codée pour justifier la violence de l’occupant contre l’occupé.
Le droit international ne prévoit pas que la puissance occupante ait le droit de frapper l’occupé. Il dit au contraire que l’occupant a des obligations de protection vis-à-vis de la population sous son contrôle. Or Israël n’a jamais rempli ses obligations d’occupant. « Il est degoûtant d’utiliser le droit international pour le retourner contre les victimes. Les Gazaouis utilisent leur droit de population occupée à se défendre. Israël a le droit de riposter à des attaques venant d’un pays extérieur (ex. le Liban) mais ici, les Gazaouis occupés ont le droit de se révolter (pas selon n’importe quelles modalités – les atrocités du Hamas ne relèvent pas de ce droit).
Quand des militants palestiniens attaquent des soldats ou des colons armés, on les traite de « terroristes » alors qu’on devrait les appeler « résistants ». Mais la plupart des pays occidentaux reprennent servilement le discours israélien ; et on voit beaucoup de « philosophes » médiatiques défendre l’oppresseur contre l’opprimé, à l’inverse de leurs positions dans des conflits précédents… C’est désolant.
Rony Brauman révèle qu’il est censuré par plusieurs médias quand s’agit de la Palestine (notamment BFM TV sur l’ordre de Patrick Drahi son propriétaire). Heureusement, des voix se font entendre ailleurs (notamment sur les réseaux sociaux), même si elles n’ont pas la puissance du « vacarme des voix israéliennes ».

Le projet de déportation des Palestiniens (en Afrique…) ?
Ce projet « de type nazi » suscite en lui effarement et colère. C’est un test, une technique pour présenter ultérieurement comme « modérée » une autre proposition qui paraîtra un peu moins extrémiste. Ce projet repose sur l’idée « Chassons tous ces intrus » ; c’est une mise en pratique de la théorie du « grand remplacement ».
En France, Rony Brauman constate un soutien apparent à Israël (dans quelle proportion ? Quelle évolution ?). Raisons : le traumatisme des attentats des dernières années, l’amalgame entre le Hamas et Daech (erroné mais entretenu par les médias et les autorités y compris au niveau présidentiel), une sorte d’identification culturelle entre Israël et la France.

Israël met-il les Juifs en danger ?
Rony Brauman le croit depuis longtemps. Israël redonne une certaine légitimité à la haine des Juifs, car il enrôle abusivement tous les Juifs du monde dans la défense du pouvoir fascisant israélien. C’est un grand danger pour tous les Juifs.
Le projet de Theodor Herzl, fondateur du sionisme politique, était un projet européen nourri de l’antisémitisme des dirigeants britanniques de l’époque qui voulaient voir partir leurs Juifs (Balfour était antisémite). On voit qu’antisémitisme et soutien à Israël ne s’opposent pas (ex. Hongrie, etc.). Quant à l’antisionisme, c’est d’abord une histoire juive, pour des motifs divers (religieux, républicains, philosophiques…). L’antisionisme ou l’indifférence au sionisme ont été très majoritaires chez les Juifs d’Europe et du monde arabe jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Quelle issue à la guerre actuelle ?
Rony Brauman est pessimiste, il ne voit aucune issue. A court terme, les idées extrémistes peuvent l’emporter. L’armée israélienne se comporte comme une armée coloniale, qui considère les Palestiniens comme des inférieurs qu’on peut piétiner. Un Etat « démocratique » pour les seuls Juifs, qui écrase plusieurs millions de Palestiniens, ne peut pas être classé parmi les pays démocratiques, encore moins aujourd’hui. De plus, la violence contre les Palestiniens retentit jusque dans la vie quotidienne des Israéliens (violences conjugales, violences routières, paranoïa d’une partie de la société, etc.).

Quelle était la stratégie du Hamas ?
On ne sait pas trop. Il semble que le Hamas et même la police israélienne ignoraient la tenue d’une fête techno près de la frontière de Gaza.
Les activistes, s’ils s’étaient contentés de détruire des installations militaires et neutraliser des soldats israéliens, sans commettre toutes ces horreurs contre des civils, auraient été auréolés de leur succès et de leur audace. En voulant faire plus, ils ont nui à l’image de la résistance. Mais il faut reconnaître qu’ils ont sorti de l’oubli la question palestinienne.

A propos du deux poids-deux mesures (cf Ukraine/Gaza) ?
Rony Brauman est révolté par la complaisance de l’Union européenne à l’égard du colonialisme israélien. La tradition de politique équilibrée de la France – de De Gaulle à Mitterrand – a disparu, avec son alignement sur la position allemande et de l’Europe de l’Est (« l’antisionisme est la vision cachée de l’antisémitisme »).
Si le génocide se confirme, cette position ne restera pas sans conséquence. Le discours a vocation morale des Européens, c’est terminé. L’évocation rituelle d’Auschwitz comme summum de la cruauté humaine et comme ressort de légitimation de l’Etat d’Israël va en prendre un sérieux coup.
Drame supplémentaire : le meurtre de journalistes à Gaza ; c’est pire que partout ailleurs dans le monde, y compris pendant la 2e Guerre mondiale.

Rony Brauman recommande le livre de Sylvain Cypel, L’Etat d’Israël contre les Juifs, La Découverte, 2020.

Laurent BAUDOIN

Plus de cent jours après les attaques terroristes du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 suivies par l’offensive militaire israélienne sur Gaza, notre enquête révèle que trois sentiments dominent dans l’esprit des Français :  

1. La complexité : près de la moitié des Français (46%) considèrent qu’il est difficile de se forger une opinion sur ce conflit, et plus d’un tiers d’entre eux (38%) déplorent une injonction à choisir un camp. A contrario de la critique souvent virulente des médias, les Français se montrent ici mesurés. 4 sur 10 (41%) suspendent leur jugement quant au traitement médiatique de ce conflit et 28% le jugent plutôt neutre et équilibré. Seuls 31% des Français le considèrent biaisé, plutôt en faveur des Israéliens (19%) que des Palestiniens (12%).

2. L’inquiétude : en pensant à ce conflit, les Français craignent d’abord ses conséquences au niveau national. 7 Français sur 10 sont inquiets de la hausse des tensions entre communautés en France. La préoccupation de l’antisémitisme en France est très majoritaire (72%), tout comme celle de l’islamophobie (61%). Enfin, marqués par les conséquences de la guerre en Ukraine, 6 Français sur 10 craignent un impact du conflit au Proche-Orient sur le coût de la vie en France.

3. L’empathie : plus de 6 Français sur 10 s’inquiètent des conséquences du conflit sur la population palestinienne (66%) et sur la population israélienne (61%). 

Des préoccupations cumulatives plutôt que concurrentes : les Français n’expriment pas de concurrence entre victimes, mais plutôt une empathie universelle à l’égard des populations civiles. Les personnes qui se déclarent inquiètes pour la population palestinienne sont ainsi 79% à exprimer également une inquiétude pour la population israélienne. De même, parmi les 6 Français sur 10 qui se déclarent préoccupés par l’islamophobie, 88% se déclarent dans le même temps préoccupés par l’antisémitisme en France.

Un écart générationnel : les Français plus âgés se déclarent généralement plus inquiets que les plus jeunes quant aux conséquences du conflit ou à ses répercussions en France. L’écart le plus important concerne la préoccupation de l’antisémitisme, qui évolue de 58% chez les 18-24 ans à 81% chez les plus de 65 ans. Chez les plus de 65 ans, si l’inquiétude liée à l’islamophobie est plus élevée que chez les jeunes (65% vs. 55%), l’écart par rapport à la préoccupation de l’antisémitisme (81%) est notable.

Bien plus qu’un pays fracturé, campé sur des positions irréconciliablement opposées, cette étude révèle une France perplexe, qui craint la binarité sur un sujet qu’elle perçoit très nettement comme complexe. A rebours de l’animosité qui prévaut sur les réseaux sociaux, les Français expriment inquiétude et empathie, sans hémiplégie.

 

Lire l’étude complète sur le site de Destin Commun, ici