Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Deux ans après le début de la guerre à grande échelle russo-ukrainienne, une guerre en réalité commencée il y a dix ans par la Russie le 20 février 2014, on peut s’interroger sur les scénarios possibles d’évolution du conflit. Si les historiens sérieux se méfient de toute prédiction, ils n’en sont pas moins capables de proposer des modèles d’anticipation.
Tout dépend en réalité du diagnostic que l’on fait de cette guerre. Si, comme pour la majorité des observateurs qui se présentent comme réalistes, cette guerre n’est que la reconfiguration de l’ordre international consécutive aux « justes ressentiments » d’un pays « encerclé », de vastes portions de populations « humiliées » et d’un « Sud global » ignoré, alors cette guerre est déjà perdue par un Occident démocratique devenu incapable, dans un monde de carnivores, de défendre ses idéaux d’herbivore.
Si en revanche, comme nous le croyons[1], il s’agit d’une guerre de civilisations, comparable aux guerres franco-allemandes des XIX-XXe siècles, on reconnaît que le conflit est profond sans être pour autant déjà perdu par l’Occident. Car au-delà des illusions géopolitiques manichéennes, ce conflit oppose d’un côté, en Europe orientale comme en Occident, les énergies destructrices de la post-modernité, hostiles à toute formulation métaphysique de la vérité et à toute mise en adéquation de la justice et du droit, et de l’autre, en Europe orientale comme en Occident, les forces créatrices d’un nouvel humanisme qui sait reconnaître les sources transcendantes de la vérité et croit en la supériorité de l’État de droit fondé sur un horizon de justice.
Certes les Occidentaux n’ont pas encore pris conscience qu’ils étaient agressés dans leur être même par la Russie post-soviétique, une puissance de chaos devenue mafieuse rêvant d’imposer son « État-civilisation », un modèle qui rejette toute participation de la société civile à la vie politique de la nation et bannit la civilisation démocratique occidentale jugée par trop décadente. Alors que l’Ukraine consacre 26 % de son PIB à cette guerre en 2023, et la Russie 6 %, dans le même temps, comme l’écrit le député européen Andrius Kubilius, en 2022-2023 l’Union européenne a fourni à l’Ukraine 29 milliards de dollars d’aide militaire[2], à la fois à partir de son propre budget (6 milliards d’euros) et de celui de tous les États membres de l’UE réunis, soit 0,075 % de son PIB annuel. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’à ce rythme l’Ukraine a peu de chances de récupérer ses territoires annexés par la Russie.
En revanche, si l’opinion prend conscience que cette guerre menace directement l’éthos européen – non seulement parce que la Russie s’est alliée à tous les partis anti-européens en Europe mais aussi parce que la Russie a déjà annoncé qu’elle remettait en cause la participation des pays de l’Europe centrale à l’OTAN –, alors les élites politiques européennes responsables seraient en mesure de mettre en place une économie de guerre[3]. Et il est bien évident en ce cas que la guerre pourrait s’achever bien plus rapidement qu’on ne l’imagine habituellement. On sait en effet que, même sans les États-Unis, l’UE est dix fois plus puissante que la Russie.
Bien entendu tout va dépendre en premier lieu de la capacité des Ukrainiens à résister, en attendant que les démocraties se décident à aider sérieusement l’Ukraine, sur un plan militaire, économique et financier, et à sanctionner durement la Russie, par exemple en cessant d’importer des hydrocarbures en provenance de Russie. On sait en effet que le budget russe repose à plus de 40 % sur cette source de revenus.
Dans ce combat, le rôle des différentes traditions religieuses à maintenir la cohésion de la nation autour de l’État ukrainien sera déterminant. Pour l’instant seule l’Église orthodoxe ukrainienne relevant du patriarcat de Moscou pose problème compte-tenu de ses liens avérés avec la machine de guerre russe. Pour aider cette Église à prendre définitivement ses distances avec le patriarcat de Moscou, mais aussi, plus profondément, avec le logiciel civilisationnel impérial, il serait utile que les Églises, en Ukraine et dans le monde, mettent en place des séminaires de formation œcuménique à la théologie politique néo-humaniste. En sommes-nous capables en Occident ?[4]
[1] A. Arjakovsky, Pour sortir de la guerre, Paris, DDB, 2023.
[2] https://united4ukraine.network/andrius-kubilius-on-the-reality-of-war/
[3] https://www.pourlukraine.com/post/davantage-armes-francaises
[4] Le Collège des Bernardins prévoit une soirée de solidarité avec les Églises en Ukraine le mardi 4 juin 2024.
« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés, j’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée Nationale, l’abolition de la peine de mort en France »
Cette phrase de Robert Badinter, prononcée le 17 septembre 1981, va le faire entrer dans l’Histoire.
Cela faisait des années que Robert Badinter avait rejoint le camp des abolitionnistes. C’est d’ailleurs pourquoi, en 1977, la section française d’Amnesty International, dont j’étais l’un des responsables, lui avait demandé de la représenter au congrès de Stockholm, pour l’abolition universelle de la peine de mort.
Jusqu’à ce qu’il devienne ministre, plusieurs fois par mois, nous nous sommes retrouvés pour animer des soirées destinées à expliquer pourquoi il fallait abolir la peine de mort. Souvent ces réunions étaient interrompues par des insultes et des cris, parfois même par des violences physiques.
Car l’hommage unanime rendu par tous, lors de sa mort, ne doit pas faire oublier que nous étions à contre-courant de l’opinion publique française (le 17 septembre 1981, un sondage indiquait que 67 % des français étaient en faveur de la peine de mort) et, que Robert Badinter était alors l’objet d’une haine farouche, nécessitant pour lui et sa famille une protection rapprochée.
Lorsque la France a aboli, elle était le 37e pays à le faire. Aujourd’hui 144 États ont aboli ou renoncé à exécuter les condamnés. Ce combat qui continuera à être mené jusqu’à l’abolition universelle de la peine de mort est resté, jusqu’à sa disparition, celui de Robert Badinter.
Ce combat fut aussi celui des commissions Justice et Paix d’Europe qui, dès 1978, ont demandé que l’Église catholique prenne, sur l’abolition de la peine de mort, une position qui consonne avec sa volonté de respecter la vie humaine. Et le 12 juin 1986, une délégation de l’ACAT conduite par Jacqueline Westercamp, avec la participation de Guy Aurenche et de Pierre Toulat, reçue par le pape Jean Paul II, en présence du cardinal Etchegaray président du Conseil pontifical Justice et Paix, leur exprimait ce même vœu. Ces démarches et celles de bien d’autres contribuèrent à faire bouger l’Église sur sa position traditionnelle (rappelée dans l’article 2267 de son catéchisme). Et la longue marche entamée sous Paul VI, appuyée par Jean Paul II et Benoit XVI, a abouti enfin le 2 août 2018 à une décision du pape François.
Désormais l’Église « enseigne à la lumière de l’Évangile que la peine de mort est une mesure inhumaine, qui blesse la dignité personnelle et s’engage de façon déterminée en vue de son abolition partout dans le monde ».
Les 12 et 13 février, Maria Hammershoy et Mgr Antoine Hérouard, co-présidents de Justice et Paix Europe, se sont rendus à Lviv en Ukraine. Ils étaient accompagnés de Stefan Lunte, secrétaire général de Justice et Paix Europe. La délégation répondait ainsi à l’invitation de Yuriy Pidlisny, président de la Commission pour la famille et la société de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne. Cette commission est membre du réseau des trente commissions Justice et Paix d’Europe. Au cours de leur séjour en Ukraine, ils ont été reçus par l’archevêque gréco-catholique de Lviv Ihor Vozniak, cssr, et son évêque auxiliaire Volodymyr Hrutsa, cssr. Ils ont rencontré le père Bogdan Prach, ancien recteur et vice-président du sénat de l’Université catholique ukrainienne, ainsi que la présidente de Caritas Ukraine, Tetiana Stawnychy. Ils ont visité plusieurs cimetières militaires et ont constaté les dégâts causés aux bâtiments par les attaques de missiles russes. Ils ont prié et célébré la messe pour les victimes de la guerre. Sur le chemin du retour, ils ont été reçus par Mgr Adam Szal et son prédécesseur Mgr Josef Michalik à Przemysl, du côté polonais de la frontière polono-ukrainienne.
Résumant leur visite, Mgr Hérouard a déclaré : « Grâce à notre visite ici, nous avons mieux compris comment le peuple ukrainien ne défend pas seulement sa liberté. Par son sacrifice, il défend également l’idée d’une Europe libre et démocratique dans son ensemble. » Maria Hammershoy a ajouté : « Protéger la vie et la dignité de la personne humaine, ainsi que partager la douleur de la guerre restent des préoccupations constantes. En s’occupant des victimes de la guerre, en écoutant leurs histoires et en répondant à leurs besoins fondamentaux, l’Église d’Ukraine montre, à travers ses structures, qui elle est. »
La délégation de Justice et Paix Europe a remercié la commission Famille et Société pour l’invitation et a exploré la possibilité d’organiser une réunion plus importante du réseau en Ukraine dans les années à venir. Elle s’était rendue en Ukraine après une réunion avec les secrétaires généraux des commissions nationales de Justice et Paix qui s’est tenue du 9 au 11 février à Berlin. Le thème de cette réunion était la solidarité avec les réfugiés ukrainiens et avec l’Ukraine et les participants ont adopté une déclaration sur ce thème.
Bruxelles, le 14 février 2024