Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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De même qu’il n’y a pas de résurrection sans crucifixion, notre espérance est mise à rude épreuve.

En marge du G20 s’est tenu en Indonésie un « sommet des leaders religieux » du monde.

À l’évidence, l’Indonésie cherche sa place dans le concert des nations. Majoritairement musulmane et le plus grand pays musulman au monde, elle a proposé aux organisateurs du G20 de lancer un R20 religieux.

L’intuition est simple : les religions doivent s’associer au travail des politiques pour le bien commun de l’humanité.

Les leaders religieux présents à ce R20 étaient principalement des professeurs d’université et des présidents d’associations religieuses. Du côté catholique, nous étions quatre évêques, quelques professeurs de la Grégorienne, une responsable de l’Aide à l’Église en Détresse (AED).

Les organisateurs, la Nahdlatul Ulama (NU), association de plus de 100 millions d’adhérents, et la Ligue Islamique mondiale, dont le président a en charge le pèlerinage de la Mecque, veulent faire entrer les musulmans dans la modernité.

Le contenu des discussions est impossible à résumer. Les mots récurrents ont été compassion, respect, interreligieux. Le Pape François a envoyé un beau message réfléchissant sur les mots de fraternité et de transcendance et appelant à écouter les pauvres. Je citerai le cri des évêques nigérians (un anglican et un catholique) et leurs interrogations face au manque de clarté des réactions de certains musulmans aux crimes de Boko Haram, la très belle et très concrète intervention de la déléguée de l’AED sur l’urgence de la fraternité avec les pauvres et une superbe leçon d’anthropologie musulmane du cheik Yahya Pallavicini.

Une intervention a été historique : celle d’un grand responsable de la deuxième association de musulmans indonésiens, la  Mohammadiyah , forte de 80 millions d’adhérents et cherchant à lier foi et raison, qui a plaidé pour une étude contextualisée du Coran et des Hadiths en montrant qu’une saine herméneutique était exigée par l’intelligence mais aussi par le Coran lui-même !

Sur les grands thèmes de l’heure (écologie, paix, respect, pauvres), il est sans doute plus facile de s’entendre quand on n’a pas de responsabilité politique. Il est beaucoup plus difficile d’expliquer le lien entre ces convictions et le fondement de nos « fois ». J’ai senti chez certains délégués une envie d’aller plus loin.

La recherche en cours doit beaucoup à Vatican II, à Assise et à François. Cela est quelquefois reconnu. Parfois, on sent que « les autres » aimeraient en faire autant ! Ce serait triste de ne pas vouloir les y aider !

 

Début 1942, 26 pays auxquels s’ajoutèrent une vingtaine d’autres dont la France libre, adoptèrent une « Déclaration des Nations-Unies » les engageant dans l’effort de guerre commun et excluant toute paix séparée avec l’Axe. En avril 1945, les principes d’une Organisation des Nations-Unies et de sa Charte constitutive étaient adoptés à San Francisco, afin d’établir « aussitôt que possible » la paix et la sécurité internationales. 80 ans plus tard, l’ONU a désormais une histoire derrière elle. Elle est toujours présente et souvent respectée. Mais à quoi sert-elle, entend-on souvent ?

Beau sujet de cours pour un étudiant qui décortiquera le « Système » ou « Famille » des  Nations Unies, en listera les organes principaux (Assemblée générale, Conseil de sécurité, Cour internationale de justice) ou subsidiaires, les fonds et programmes (PNUD, PAM, UNICEF…), les organisations spécialisées (OIT, ONUDI, OMS…) ou associées (AIEA, OMC…). Il en présentera les missions. Une institution gigantesque, dont l’humanité peut être fière.

Et pourtant, en 2022, la question taraude. À quoi sert l’ONU quand un membre permanent du Conseil de sécurité qui devrait donner l’exemple viole les principes de la Charte en agressant son voisin, brise sa souveraineté, commet des crimes de guerre, menace la paix sur tout un continent ? À quoi sert l’ONU quand l’équilibre agro-alimentaire mondial est vacillant, le changement climatique non maîtrisé, la biodiversité en déclin ? Quand les droits de l’Homme ne sont pas prééminents, que les réfugiés sont mal accueillis, que le développement durable s’essouffle et que les inégalités économiques s’accroissent ? Faut-il désespérer de l’ONU et condamner ses impuissances ? L’interrogation est compréhensible, mais peu opérante.

D’abord, une société internationale organisée en États souverains doit se rassembler en une entité universelle, sur un pied d’égalité quant à leurs droits et devoirs. Cette universalité est acquise aujourd’hui (193 membres) et inclut même le Saint-Siège. À New York, Genève, Rome, se croisent des dizaines de milliers de responsables politiques, de diplomates, d’experts, contribuant à une intelligence collective des ressources, maux et espoirs du monde et utilisant les outils pertinents : discours, résolutions (plus de 2 000 depuis 1946 pour le seul maintien de la paix), décisions, traités, conventions, plans, programmes. L’ONU, sa charte, sa permanence enrichie de l’expérience, constituent le cadre universel de référence pour les négociations, ambitieuses, parfois idéalistes, dont a besoin la société des nations.

Ensuite, même pendant les crises et les périodes de tension, l’ONU et ses organes subsidiaires et spécialisés conservent toute leur valeur. Ils sont instances d’appel, où des États victimes de conflits ou de catastrophes peuvent expliquer publiquement et officiellement ce qu’ils subissent et rechercher soutiens et aides. Ils sont scènes d’explicitation des positions des parties prenantes, au risque, pour les contrevenants à l’ordre public mondial, d’être pointés du doigt et mis en accusation : même sans effets immédiats sur l’arrêt des hostilités, les résolutions de l’Assemblée générale condamnant l’agression russe, en mars puis en octobre 2022, par plus de 140 voix contre 5 et une quarantaine d’abstentions, dont certaines embarrassées (Chine, Inde), ont donné la mesure de la réprobation universelle. Ce sont aussi des laboratoires de solutions avec élaboration de mesures ponctuelles adaptées (exportation de céréales depuis les ports ukrainiens) ou, plus largement, de recommandations de politiques publiques sanitaires ou sociales. C’est aussi l’ONU qui organise, avec les États de bonne volonté, les mesures d’après-crise, comme l’envoi de forces civiles et militaires de rétablissement de la paix (une soixantaine depuis 1946, dont encore plusieurs en Afrique, à Haïti, au Kosovo, au Moyen-Orient).

Enfin, les Nations-Unies ne sont pas hors-jeu face aux défis sur Terre. De grands principes ont été élaborés : Déclaration universelle des Droits de l’Homme en 1948, Objectifs du Développement Durable en 2015, Responsabilité commune mais différenciée des États en matière de climat. Les célèbres COP (Convention of Parties) sont des émanations de conventions négociées et gérées selon les règles des Nations-Unies, ainsi à Rio de Janeiro (climat) dès 1992, par consensus souvent rallié in extremis par des États hésitants. La 77e Assemblée générale, en 2022, traite d’un vaste champ : croissance économique soutenue, paix et sécurité internationales, développement de l’Afrique, protection des droits humains, opérations d’assistance humanitaire, justice et droit international, désarmement, prévention du crime, lutte contre le terrorisme.

Certes l’ONU a ses faiblesses. Son Secrétaire général ne peut forcer les pays à agir. Un quart des États n’a toujours pas siégé au Conseil de sécurité, lequel devrait s’élargir à de nouveaux membres permanents. Le droit de veto devrait être limité. Globalement, une remobilisation autour des principes de la Charte s’impose. Car, comme le dit le Saint-Siège : « Les accords multilatéraux entre les États garantissent, mieux que les accords bilatéraux, la sauvegarde d’un bien commun réellement universel et la protection des États les plus faibles » (Fratelli tutti [156]).

 

Télécharger l’article complet de Philippe Zeller  A quoi sert l’ONU ?