À quoi sert l’ONU ?
Début 1942, 26 pays auxquels s’ajoutèrent une vingtaine d’autres dont la France libre, adoptèrent une « Déclaration des Nations-Unies » les engageant dans l’effort de guerre commun et excluant toute paix séparée avec l’Axe. En avril 1945, les principes d’une Organisation des Nations-Unies et de sa Charte constitutive étaient adoptés à San Francisco, afin d’établir « aussitôt que possible » la paix et la sécurité internationales. 80 ans plus tard, l’ONU a désormais une histoire derrière elle. Elle est toujours présente et souvent respectée. Mais à quoi sert-elle, entend-on souvent ?
Beau sujet de cours pour un étudiant qui décortiquera le « Système » ou « Famille » des Nations Unies, en listera les organes principaux (Assemblée générale, Conseil de sécurité, Cour internationale de justice) ou subsidiaires, les fonds et programmes (PNUD, PAM, UNICEF…), les organisations spécialisées (OIT, ONUDI, OMS…) ou associées (AIEA, OMC…). Il en présentera les missions. Une institution gigantesque, dont l’humanité peut être fière.
Et pourtant, en 2022, la question taraude. À quoi sert l’ONU quand un membre permanent du Conseil de sécurité qui devrait donner l’exemple viole les principes de la Charte en agressant son voisin, brise sa souveraineté, commet des crimes de guerre, menace la paix sur tout un continent ? À quoi sert l’ONU quand l’équilibre agro-alimentaire mondial est vacillant, le changement climatique non maîtrisé, la biodiversité en déclin ? Quand les droits de l’Homme ne sont pas prééminents, que les réfugiés sont mal accueillis, que le développement durable s’essouffle et que les inégalités économiques s’accroissent ? Faut-il désespérer de l’ONU et condamner ses impuissances ? L’interrogation est compréhensible, mais peu opérante.
D’abord, une société internationale organisée en États souverains doit se rassembler en une entité universelle, sur un pied d’égalité quant à leurs droits et devoirs. Cette universalité est acquise aujourd’hui (193 membres) et inclut même le Saint-Siège. À New York, Genève, Rome, se croisent des dizaines de milliers de responsables politiques, de diplomates, d’experts, contribuant à une intelligence collective des ressources, maux et espoirs du monde et utilisant les outils pertinents : discours, résolutions (plus de 2 000 depuis 1946 pour le seul maintien de la paix), décisions, traités, conventions, plans, programmes. L’ONU, sa charte, sa permanence enrichie de l’expérience, constituent le cadre universel de référence pour les négociations, ambitieuses, parfois idéalistes, dont a besoin la société des nations.
Ensuite, même pendant les crises et les périodes de tension, l’ONU et ses organes subsidiaires et spécialisés conservent toute leur valeur. Ils sont instances d’appel, où des États victimes de conflits ou de catastrophes peuvent expliquer publiquement et officiellement ce qu’ils subissent et rechercher soutiens et aides. Ils sont scènes d’explicitation des positions des parties prenantes, au risque, pour les contrevenants à l’ordre public mondial, d’être pointés du doigt et mis en accusation : même sans effets immédiats sur l’arrêt des hostilités, les résolutions de l’Assemblée générale condamnant l’agression russe, en mars puis en octobre 2022, par plus de 140 voix contre 5 et une quarantaine d’abstentions, dont certaines embarrassées (Chine, Inde), ont donné la mesure de la réprobation universelle. Ce sont aussi des laboratoires de solutions avec élaboration de mesures ponctuelles adaptées (exportation de céréales depuis les ports ukrainiens) ou, plus largement, de recommandations de politiques publiques sanitaires ou sociales. C’est aussi l’ONU qui organise, avec les États de bonne volonté, les mesures d’après-crise, comme l’envoi de forces civiles et militaires de rétablissement de la paix (une soixantaine depuis 1946, dont encore plusieurs en Afrique, à Haïti, au Kosovo, au Moyen-Orient).
Enfin, les Nations-Unies ne sont pas hors-jeu face aux défis sur Terre. De grands principes ont été élaborés : Déclaration universelle des Droits de l’Homme en 1948, Objectifs du Développement Durable en 2015, Responsabilité commune mais différenciée des États en matière de climat. Les célèbres COP (Convention of Parties) sont des émanations de conventions négociées et gérées selon les règles des Nations-Unies, ainsi à Rio de Janeiro (climat) dès 1992, par consensus souvent rallié in extremis par des États hésitants. La 77e Assemblée générale, en 2022, traite d’un vaste champ : croissance économique soutenue, paix et sécurité internationales, développement de l’Afrique, protection des droits humains, opérations d’assistance humanitaire, justice et droit international, désarmement, prévention du crime, lutte contre le terrorisme.
Certes l’ONU a ses faiblesses. Son Secrétaire général ne peut forcer les pays à agir. Un quart des États n’a toujours pas siégé au Conseil de sécurité, lequel devrait s’élargir à de nouveaux membres permanents. Le droit de veto devrait être limité. Globalement, une remobilisation autour des principes de la Charte s’impose. Car, comme le dit le Saint-Siège : « Les accords multilatéraux entre les États garantissent, mieux que les accords bilatéraux, la sauvegarde d’un bien commun réellement universel et la protection des États les plus faibles » (Fratelli tutti [156]).
Télécharger l’article complet de Philippe Zeller A quoi sert l’ONU ?