Mayotte : un constat préoccupant, une espérance nécessaire
Mayotte (Maoré, en mahorais) est durement touchée par la pandémie de Covid-19. D’autres fléaux sévissent sur « l’île au lagon » : violence croissante, précarité galopante, couverture sanitaire et accès à l’eau dégradés. Dans ce contexte sans précédent, quel avenir espérer pour l’île ? Et quelle place y tient la France ?
En 1841, menacé par les royaumes comoriens voisins, le sultan de Mayotte la vend à la France : Mayotte devient une colonie française. En 1886, la France établit un protectorat sur le reste des Comores.
Devenu département français en 2011 et région ultraphériphérique de l’Union européenne en 2014, l’archipel qu’est Mayotte comprend deux îles – Grande-Terre et Petite-Terre – et de nombreux îlots, au sommet du canal du Mozambique, au nord-ouest de Madagascar.
Insécurité croissante
En arrivant à Mayotte, j’ai été témoin, au mois de septembre, d’un affrontement entre groupes de jeunes rivaux sur Grande-Terre. En novembre, la ville de Dzoumogné a vécu une semaine de violence entre bandes rivales, obligeant les habitants à se calfeutrer. Les collégiens et lycéens, régulièrement rackettés, volés ou battus, ont été bloqués dans leur établissement, jusqu’à l’intervention de 70 gendarmes, dont le GIGN. Constatant que l’État ne peut assurer leur sécurité, les habitants opèrent des contrôles sur ces jeunes, hors de tout cadre juridique. Il est urgent de redonner confiance à la population mahoraise.
L’immigration non contrôlée, en provenance des Comores voisines, est cause de violences. Située à 70 km des côtes comoriennes, Mayotte a toujours connu des flux migratoires avec les autres îles des Comores. Ils sont en constante augmentation, particulièrement depuis la départementalisation. Les conséquences sont multiples : intensification de la lutte contre l’immigration clandestine, risques pour les immigrés arrivant sur de rudimentaires « kwassa-kwassa » depuis Anjouan – environ 12 000 personnes seraient mortes en tentant de rejoindre Mayotte – augmentation rapide de la population, de son niveau de pauvreté, de l’illettrisme. Nombre de jeunes sont livrés à eux-mêmes dans ce département qui compte le plus grand nombre de mineurs non-accompagnés. Les Comoriens y sont davantage considérés comme ennemis que comme cousins.
Évolution démographique alarmante
La population est officiellement évaluée à 250 000 personnes (67 000 en 1985) ; elle doit avoisiner les 400 000[1] et pourrait atteindre les 750 000 en 2050. Elle a doublé en 20 ans. Les naissances ont bondi de 45 % entre 2013 et 2016. L’archipel affiche les plus forts taux français de fécondité (4,8 enfants par femme)[2] et de pauvreté (84 %)[3]. Près de la moitié de la population (48 %) est étrangère, issue à 95 % des Comores voisines.
La moitié de la population a moins de 17 ans. Une adaptation des moyens consacrés à l’éducation s’impose. Il faudrait ouvrir une classe par jour ; 58 % des Mahorais souffrent d’illettrisme, contre 23 % à La Réunion voisine et 7 % en métropole. À l’urgence éducative s’ajoutent celles déjà évoquées, sécuritaire et migratoire.
Cet impératif – dédier des moyens à l’éducation – se heurte à la contrainte des finances publiques. Dernier département français où l’État gère les fonds européens, Mayotte n’a consommé que 20 % du fonds d’assistance technique[4] : pour leur emploi, l’autorité de gestion – la préfecture – n’a pas été suffisamment un appui technique pour les élus. Dès lors, la question du transfert de l’autorité de gestion au département[5] se pose légitimement, mais à condition de mieux former les personnels territoriaux.
Développement des infrastructures
Insulaire, Mayotte est dépendante des voies aériennes et maritimes. La découverte, en 2018, d’un immense volcan sous-marin, à 50 km au large et à 3500 m de profondeur, rend plus complexe la réalisation des travaux de prolongement de la piste de l’aéroport de Pamandzi et de l’extension de l’aérogare. Masse magmatique la plus importante jamais observée, ce volcan a gagné neuf cents mètres d’altitude en un an et Petite-Terre s’est enfoncée de dix centimètres. Si l’on estime que le risque de submersion est maîtrisé, la menace exige la mobilisation de compétences et d’outils adaptés.
Enfin, Mayotte connaît une grave pénurie d’eau, avec des coupures temporaires hebdomadaires, par zone. Il arrive que la saison humide tarde, et les réseaux de distribution, de répartition et de récupération des eaux sont défaillants. Un tiers des Mahorais vit dans un logement sans eau courante.
Enjeux économiques
En 2018, 35 % de la population officielle était au chômage et 50 % vivait avec moins de 500 € par mois. Les projets gaziers français, dans un Mozambique gravement meurtri par le terrorisme islamiste, sont une opportunité économique majeure pour Mayotte. L’île pourrait en constituer la base arrière, devenant un hub aérien régional, générateur d’emplois et de développement. La concrétisation d’un tel projet rendrait plus que probable la construction déjà envisagée d’un second hôpital, fournissant une offre de soins adaptée.
Le secteur primaire reste premier dans l’économie mahoraise. Ses principales exportations sont l’aquaculture et l’huile d’essence d’ylang-ylang[6]. Reposant sur une logique d’autosuffisance familiale, l’agriculture mahoraise évolue favorablement : les impôts fonciers, arrivés avec la départementalisation, ont conduit à rentabiliser des terres. Malgré cette amélioration sensible, fortement portée par les femmes[7], l’autonomie alimentaire demeure illusoire, en raison de l’explosion démographique.
Raisons d’espérer
Au-delà de ces constats préoccupants, « l’hippocampe de l’Océan indien » (c’est la forme de l’île) est une formidable réserve de richesses environnementales et son lagon, un des plus beaux du monde : 250 espèces de coraux y côtoient 24 espèces de mammifères marins, soit un quart de celles connues dans le monde. La jeunesse mahoraise est porteuse d’espoir, dès lors qu’elle est encadrée et formée. Le régiment du service militaire adapté (R-SMA) de Mayotte[8] y contribue, proposant seize filières de métiers et formant près de 600 jeunes chaque année, avec un taux d’insertion de 85 % en sortie.
L’Islam sunnite chaféite est professé par 95 % des Mahorais. Malgré certaines tentatives d’origine étrangère, l’islam radical n’y trouve pas de prise mais l’influence saoudienne commence à se faire sentir. La République doit être attentive aux risques de captation d’une jeunesse non scolarisée et en besoin d’autorité et de repères.
Place de la France
Suite au référendum de 1974, la France a assumé le vote de Mayotte, qui fut contraire à celui du reste des Comores en faveur de l’indépendance. Elle se doit de prendre soin de ce territoire. La Journée nationale Maoré, célébrée en Grande Comore le 12 novembre dernier, a été une nouvelle occasion de revendiquer Mayotte, que les Nations-Unies considèrent comme comorienne. Pour autant, avec pour unique argument la proximité géographique, l’ONU est-elle légitime à refuser le droit des Mahorais à choisir leur destin, déniant son propre principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? L’histoire commune et l’expression répétée, au fil des scrutins, de l’attachement de ce peuple – aux influences malgaches, africaines, arabes et européennes – à la France seraient-elles des arguments secondaires ? Si la France a, bien sûr, intérêt à rester présente dans la région, nombre de pays dans l’ombre des Comores travaillent à son recul, en favorisant une entrée de Mayotte dans le giron comorien.
La devise de Mayotte – « Ra Hachiri », « nous sommes vigilants » – vaut, tant à l’égard de la métropole, insuffisamment présente à ses côtés, qu’au voisin conquérant. L’avenir de Mayotte est à décider, non à subir. Mayotte peut aller mieux ; pour cela il faut renoncer à l’angélisme, comme au désenchantement, renouer avec l’espérance et agir.
L’influence de la France est grande dans cette zone de l’océan Indien, avec ses départements ultramarins et l’immense étendue des zones économiques exclusives des Îles éparses, par ailleurs revendiquées par Madagascar. Les enjeux de souveraineté – pêche, gisements de matières premières, influence géopolitique – percutent bien souvent ceux des États voisins, surtout ceux de grandes puissances montantes comme la très présente Chine. Mayotte se comprend à travers ses défis majeurs de développement et comme partie prenante d’une complexe géopolitique régionale.
Justice et Paix France
[1] Estimation déduite d’une mesure de la quantité de nourriture vendue.
[2] Source : INSEE.
[3] Seuil de pauvreté établi à 959€ par mois (INSEE, 2014).
[4] Fonds européen chargé de financer la formation des fonctionnaires, à hauteur de 2 Ms€/an depuis 2014.
[5] Mayotte étant un DROM, la collectivité unique exerce à la fois les compétences départementales et régionales.
[6] Dédiée à la constitution des parfums.
[7] Aujourd’hui, près d’un agriculteur sur deux est une femme et la majorité des créations d’entreprise le sont par des femmes.
[8] Structure dépendant du Ministère des Outre-mer.