Cher Père Etchegaray
Dans ce numéro, avec deux témoins, nous faisons mémoire du cardinal Etchegaray. Nous reproduisons le texte qu’a bien voulu nous confier son actuel et récent successeur au siège de Marseille, Mgr Aveline ; quant au P. Antoine Sondag, il était secrétaire général de Justice et Paix quand le cardinal présidait le Conseil pontifical éponyme….
Ce matin, avec le peuple de Marseille, je veux vous dire merci ! Depuis l’annonce hier soir de votre décès, nombreux sont ceux auxquels reviennent en mémoire des souvenirs de moments partagés avec vous et qui nous ont fait grandir. Pour ma part, comment oublierais-je nos premières rencontres à l’époque où, jeune séminariste, je découvrais à travers vous le visage et la mission d’un évêque ? Et voici que la Providence a voulu vous inviter à entrer dans la Vie quelques jours avant que je ne sois appelé par le pape François à vous succéder dans la lignée des archevêques de Marseille ! Comment oublier que, malgré la fatigue, vous étiez venu me consacrer évêque il y a un peu plus de cinq ans, le 26 janvier 2014 ? Ce fut votre dernier passage à Marseille. Je me souviens que, vous conduisant en voiture jusque chez les Petites Sœurs des Pauvres pour saluer le P. Levet, qui avait longtemps été votre secrétaire particulier, vous m’énonciez, à chaque carrefour, les noms des personnes qui autrefois avaient habité telle ou telle rue et dont vous aviez gardé la mémoire !
Pasteur infatigable, dont les rides n’ont jamais réussi à faire taire les rêves, vous étiez avant tout un ami du Christ, enraciné comme Lui dans une histoire et une culture. Votre Espelette vous aidait à comprendre son Nazareth et vos piments n’avaient rien à envier à ses figuiers ! Ensuite, c’est la glaise de Marseille qui a collé à vos semelles de cardinal, et nous Marseillais, étions bien fiers de savoir que lorsque vous voyagiez ailleurs, c’est un peu de Marseille que vous emportiez avec vous ! Il faut dire que, quittant Marseille en avançant « comme un âne », vous étiez allé jusqu’au pays des pandas ! Certes, vous partiez avec un avantage, puisqu’Armand David, le naturaliste et missionnaire du XIXe siècle qui découvrit le Grand Panda sur les contreforts du Tibet, était lui aussi natif d’Espelette ! Mais avec vous, nous avons appris à ne jamais avoir peur de la hauteur de la barre à franchir, parce que c’est le Christ qui la fixe et que si nous lui faisons confiance, Il la passera toujours avec nous, car sa grâce donne toute sa puissance dans notre faiblesse !
Je me souviens aussi que, lorsque vous aviez reçu à Marseille Mère Térésa, venue installer en notre ville une communauté (la première en France), elle vous avait demandé : « prenez soin de leur croissance dans la sainteté et protégez leur pauvreté ». Et vous, en fidèle disciple du Christ, au milieu des fastes et des réceptions innombrables auxquelles vous avez été invité, vous n’avez pas effacé de votre cœur cette solidarité prioritaire avec les pauvres. Voilà sans doute ce qui vous a rendu libre face aux puissants, de Saddam Hussein à Fidel Castro, n’hésitant pas à leur rappeler que : « savoir sans agir est une lâcheté ; agir sans savoir est une imprudence » ! Président pendant de nombreuses années du Conseil pontifical Cor unum et du Conseil Pontifical Justice et Paix, vous avez côtoyé de près les multiples facettes de la détresse humaine. Je me souviens qu’un jour, rentrant d’Afrique, vous m’aviez dit : « il y a des choses que ne savent voir que des yeux qui ont pleuré ». Comme au petit matin de Pâques, les convictions les plus profondes sont parfois les plus silencieuses.
Et puis comment ne pas évoquer, pour finir, votre amour pour l’Église ? Vous avez passé toute votre vie à l’aimer, filialement mais sans complaisance, sans nier ses égarements ni ses tiédeurs, mais en apprenant avec elle à sentir « battre le cœur du monde ». Un évêque, disiez-vous souvent (et je tâcherai de toujours m’en souvenir) c’est comme un jardinier, un botaniste, qui veille avec passion sur les petites fleurs d’Évangile, surtout sur celles qui ont pris racine dans les coins et les recoins les plus troubles ou les plus arides de nos cités. L’Église, malgré ses rides et ses cicatrices, malgré les chants du coq qui résonnent à ses oreilles à chacun de ses reniements, sait qu’elle n’a d’autre richesse que la grâce de Dieu, d’autre fidélité que celle, inaltérable, que le Christ lui porte. C’est sa mission qui la pousse au dialogue avec toute l’humanité, comme vous l’aviez si bien mis en œuvre à Assise, dans une complicité sans faille avec le pape Jean-Paul II, votre ami et votre frère.
Cher père Etchegaray, le peuple de Marseille vous salue et vous dit merci. À la fin de l’homélie de votre première messe chrismale en notre cathédrale, vous aviez évoqué ce petit billet trouvé sur le bureau d’un vicaire de Bayonne, qui pensait, en l’écrivant, aux jeunes de sa paroisse[1] : « Si tu ralentis, ils s’arrêtent ; si tu faiblis, ils flanchent ; si tu t’assois, ils se couchent ; si tu doutes, ils désespèrent ; si tu critiques, ils démolissent ; mais si tu marches devant, ils te dépassent ; si tu donnes ta main, ils donneront leur peau ; et si tu pries, alors ils seront des saints » !
« Si tu pries, ils seront des saints ! » Du haut du ciel, avec la Vierge de la Garde, gardez-nous en votre prière, père Etchegaray, et acceptez que les Marseillais vous disent encore tout simplement mais du fond du cœur : merci !
[1] NB : Ce billet, un appel aux chefs scouts (« Si tu veux être chef un jour… », 1955), a été rédigé par Michel Menu (1916-2015, résistant, fondateur des patrouilles libres, des goums.