Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Le Cambodge se trouve actuellement entre deux échéances électorales : les élections communales du 4 juin 2017 et les élections législatives fixées au 29 juillet 2018. Ces deux étapes décisives monopolisent toute la politique intérieure du pays dans un contexte de renforcement de la position du Premier Ministre et de son parti, le Parti du Peuple Cambodgien.

 

Après plusieurs mois de préparation, sept millions d’électeurs se sont rendus aux urnes, en juin dernier, pour les élections communales. Le PPC (Parti du Peuple Cambodgien), celui de Hun Sen, Premier ministre depuis trente-trois ans, a remporté 1 163 communes ; le PNSC (Parti National du Salut du Cambodge), principal parti d’opposition dirigé par Sam Rainsy et Kem Sokha, a obtenu 482 communes ; et le Parti de l’Unité Nationale Khmère, de Nhek Bun Chhay, en a gagné une.

Si le PNSC ne l’a pas emporté, on compte tout de même cinq mille élus de l’opposition, ce qui représente une menace pour le gouvernement.
Selon le Comité National des Élections (CNE), l’an prochain il y aurait 9 788 239 électeurs, sur une population de 15 883 250 d’habitants, qui devraient se rendre dans 23 470 bureaux de vote. L’atmosphère des élections a été qualifiée de « paisible et pacifique », même si, dans certains bureaux de vote, les autorités civiles et militaires ont voulu montrer leur force.

Cependant, toute la politique intérieure des derniers mois était ouvertement pro-PPC. À la campagne, chaque maison devait afficher un ou deux emblèmes du PPC, quelles que soient les convictions de leurs occupants. C’est un fait qu’à la campagne, les gens d’un certain âge votent pour les « mé-ba » (père-mère), les protecteurs du pays qui peuvent assurer la paix. Dans les universités, les étudiants se divisent en deux groupes : les fils et les filles de riches, membres du gouvernement, lui sont acquis ; en revanche, les filles et fils de pauvres votent contre lui.

 

La hantise des précédentes élections

Les Cambodgiens partis travailler à l’étranger, environ 1 700 000 personnes, n’ont pas pu voter. Tous ces travailleurs se sont exilés, parce qu’ils ne pouvaient vivre décemment, et sont des opposants virtuels. Le PNSC a milité, avant les élections et depuis les élections, pour qu’ils puissent déposer leur bulletin de vote dans les ambassades ou consulats du pays où ils résident.

Mais le PPC a refusé obstinément, de peur que ne se reproduisent les élections de 2013 où il n’avait obtenu sa victoire qu’avec un million de votes « fantômes » et de très nombreux votes en double. Le PNSC avait boycotté l’Assemblée nationale pendant un mois en signe de protestation. Depuis, les listes électorales ont été révisées grâce à des experts internationaux. Une semaine avant les élections, le Premier ministre Hun Sen avait promis de fusiller « cent à deux cents personnes » si elles ne votaient pas pour lui.

Tep Banh, son Ministre de la Défense, avait promis de « briser les dents » de ses opposants qui n’accepteraient pas leur défaite. Si aucun des deux n’a mis ses menaces à exécution, tous gardent en mémoire ces paroles pour le moins offensives. Actuellement, tout est orienté vers les prochaines élections législatives, fixées par le Premier Ministre au 29 juillet 2018, durant la saison des pluies. L’opposition aurait préféré une date en saison sèche, ce qui permettrait aux gens des campagnes de se déplacer plus facilement.

 

Promesses sociales et pressions politiques

Depuis le 10 août 2017 le Premier Ministre a lancé une opération de charme à l’encontre des 700 000 ouvriers d’usines. Leur travail permet la plupart des exportations. Le 20 août, le Premier Ministre a décidé d’augmenter sans préalable leur salaire de 153 à 168 dollars à partir de janvier 2018. Cependant, la direction des deux syndicats les plus influents pense que 200 dollars permettraient aux ouvriers de subvenir à leurs besoins, étant donné l’augmentation des prix des denrées.

Hun Sen leur accorde également la libre circulation dans les bus. Une semaine après, il annonce pour tous les travailleurs, y compris dans l’agriculture, le libre accès aux soins et le séjour gratuit dans les hôpitaux d’État. Un projet de régime de retraite se mettra en place à partir de 2019, à condition d’avoir travaillé pendant plus de vingt-cinq ans, précise-t-il par la suite. Cela reviendra à une dépense de dix millions de dollars par an. Pour le moment, il n’a pas encore précisé qui va payer.

Les observateurs estiment ces mesures normales : « C’est le devoir de l’État… C’est à cause de cette absence d’exonération des frais de santé que les gens sont pauvres »…

« Ces hausses salariales sont purement politiques », remarque un opposant. Le 30 août, le Premier Ministre fait baisser d’un tiers le coût de l’eau pour les travailleurs. Sam Rainsy, que Hun Sen raillait pour son manque de courage parce qu’il a interdiction de rentrer au Cambodge, sait que s’il y revient il sera immédiatement emprisonné puisqu’il a été « jugé » in abstentia. Désormais, Rainsy est considéré comme criminel. Or, une loi a été votée pour interdire à tout criminel de fonder un parti politique ; donc, Sam Rainsy a été exclu du PNSC et a dû retirer toutes ses photos des affiches et logos du parti.

Le 2 septembre, à 23h30, plus de cent policiers arrêtent Kem Sokha, co-leader de l’opposition avec Sam Rainsy, chez lui, sans mandat d’arrêt, et le conduisent en prison, à Trapéang Phlong. On l’accuse d’être en lien avec des Américains et de prévoir un coup d’état contre Hun Sen, comme Lon Nol l’avait fait pour Sihanouk en 1970. La frontière de l’impopularité gouvernementale est presque franchie…

 

Les pressions sur la presse

Une loi limitant le droit des associations, votée par l’Assemblée en juillet 2015, a commencée à être appliquée après les élections de juin 2017. Rien ne doit être laissé au hasard dans la préparation des élections de juillet 2018.

Durant le premier Conseil des ministres ayant suivi les élections, qui s’est tenu le 4 août 2017, le Premier Ministre donne l’ordre au gouvernement de percevoir les taxes annuelles sur les 5 000 ONG et associations. Le Cambodia Daily, qui s’est souvent opposé à la politique gouvernementale, doit payer 6,3 millions de dollars en taxes soi-disant impayées depuis 2007.

Le fondateur, le Dr Krisner (86 ans) fait remarquer que le journal a versé trente-neuf millions de dollars en opérations charitables, notamment dans la construction de 561 écoles à travers tout le pays. Le gouvernement lui accorde trente jours pour régler sa situation. Le porte-parole du gouvernement dénie toute intention politique dans cette mesure, et dit que beaucoup de sociétés devraient également faire l’objet d’un tel redressement. Le 22 août, le journal se fait publiquement traiter de « voleur » par le Premier Ministre.

Le Cambodia Daily déclare qu’il a toujours payé les sommes qu’on lui demandait, et fournit des documents pour le prouver. La presse internationale réagit, et pense que cette demande est uniquement motivée politiquement. Le 4 septembre, le Cambodia Daily doit fermer ses portes, après vingt-quatre ans et quinze jours d’informations loyales et courageuses.

D’autres organismes de presse comme la VOA (Voice of America), RFA (Radio free Asia) sont également dans le collimateur du gouvernement pour, soi-disant, manque d’enregistrement officiel et non-paiement de taxes. Elles sont interdites de diffusion en-dehors de Phnom Penh. En réalité, ces deux radios ont comme défaut d’interviewer des opposants au régime, comme Pan Nuong Teang directeur de la Voix de la Démocratie (VOD).

Dans une lettre du 21 août, le Ministre de l’Information ferme la radio Mohanokor ; le lendemain, c’est la fermeture de la radio Kampong Cham Radio FM 99,7. Le 26 septembre, dix-neuf radios privées cambodgiennes sont suspendues : ces radios relayaient des émissions de VOA et de RFA, et diffusaient ainsi des interviews du PNSC. Le gouvernement nie que ces mesures aient des motivations politiques, et affirme que toutes ces radios n’ont pas rempli leurs engagements auprès du gouvernement.

Il n’y a plus que deux radios qui peuvent diffuser des émissions venant de l’étranger : Nid d’abeilles, fondée en 1998 par Mom Sonando, qui accepte les directives gouvernementales, et également le Centre des Femmes cambodgiennes. Toute critique du gouvernement, « les insultes, le mépris et la diffamation publique », même sur Facebook, sont passibles de prison.

Désormais, le régime considère que tous ceux qui ne pensent pas comme lui ont décidé de le renverser. Tout opposant et tout parti politique sont autant d’espions qu’il convient de maîtriser. Certains observateurs font remarquer que jamais Hun Sen ne s’est senti accepté par l’Occident et que le soutien aux partis de l’opposition vise tôt ou tard à le renverser. Dans un tel contexte, les élections de 2018 ne risquent pas d’être menées dans une ambiance neutre.

Les pressions à l’international

Les associations de défense des Droits de l’Homme comme la LICADHO, ADHOC, le COMFREL (Comité pour la tenue des élections libres et honnêtes), ont été inquiétées. Elles ont obtenu un délai de paiement. Le 3 août 2017, le Premier Ministre recommande à plusieurs ONG de se retirer du pays, si elles violent la loi, « celles notamment qui reçoivent des fonds de l’étranger ».

En août, l’ambassadeur de l’Union Européenne (UE) s’est vu reprocher par le Premier Ministre l’aide apportée à l’ONG Classroom, un consortium de quarante ONG « qui ne respectent pas la neutralité ». L’ambassadeur Georges Edgar fait remarquer que l’UE a donné des fonds pour l’éducation et la surveillance des opérations de vote. Il inclut le Comité National des Élections (CNE) gouvernemental dans les destinataires de cette aide.

D’autre part, la majorité des fonds donnés par l’Union, un des principaux donateurs internationaux, va directement dans le budget national. L’Union a contribué à créer, avec de nombreuses félicitations, des listes électorales. Le Premier Ministre accuse l’Europe de vouloir le renverser.

Après sa reprise en main du pouvoir en 1997, Hun Sen devait rassurer les Occidentaux, pour pouvoir bénéficier des aides internationales. Ce n’est plus le cas actuellement. Grâce au fort soutien chinois, les dirigeants du PPC peuvent s’en prendre aux organisations dont la présence n’est plus désirée au Cambodge. « En beaucoup de domaines, le pays revient à ses pratiques autoritaires du passé », écrit un observateur
plutôt favorable à Hun Sen.

Internet, notamment Facebook, diminue sérieusement l’influence des médias contrôlés par le PPC. Là encore, le Cambodge va s’aligner sur les pratiques de ses voisins du Nord et de l’Est. « Hun Sen montre clairement qu’il est opposé à une société ouverte et aux débats, il a donc recours à une tactique autoritaire pour les supprimer ».

Le rapport Notat-Sénard, du 9 mars 2018, s’inspire, pour une part, des recherches faites au Collège des Bernardins. Il devrait se concrétiser dans la future loi Pacte.

 

Neuf années durant, en trois cycles : B1 (2009-11), B2 (2012-14) et B3 (2015-18), le département Économie et Société des Bernardins a mené, avec l’École des Mines et l’Université Paris Sciences et Lettres, une réflexion fondamentale sur l’entreprise.

Les 16 et 17 mars 2018, un colloque conclusif, intitulé « Gouvernement, participation et mission de l’Entreprise », a récapitulé cette recherche interdisciplinaire autour de deux thèmes : la codétermination, comme forme normale du gouvernement d’entreprise, et la mission de l’entreprise. En contrepoint, J.-B. de Foucauld et A. Lyon-Caen partagèrent leurs réflexions. Enfin, des regards croisés ont été posés sur les propositions de réforme de l’entreprise par des dirigeants et responsables syndicaux, L. Berger (CFDT), S. Binet (UDICT CGT), F. Hommeril (CFE-CGC), V. Prolongeau (Continental Foods France), J.-D. Senard (Michelin), P. Varin (Areva), et par deux députés, S. Guerini (LREM) et D. Potier (PS).

 

Tant du point de vue de ses formes de propriété que de sa responsabilité sociale, l’entreprise a été examinée comme dispositif d’accomplissement personnel, de valorisations croisées, de création collective, de pouvoirs privés ; manifestement, une grande déformation de l’entreprise s’est fait jour : crise du travail, de la recherche/développement, des inégalités, accompagnée de déséquilibres environnementaux (B1). En considérant l’entreprise comme entité politique et dispositif de création collective, la recherche s’est alors portée sur les entreprises à mission (B2). Enfin, quelle théorie du gouvernement de l’entreprise prôner (B3) ?

Le modèle allemand

La codétermination (Mitbestimmung) est un régime plus démocratique de prise de décision collective (actionnariat, management, personnel, etc.). Ainsi, au Conseil de Surveillance des entreprises allemandes de plus de cinq cents salariés, un tiers des sièges est réservé au personnel, et même la moitié, au-delà de deux mille employés. La codétermination est déjà la forme générale de gouvernance de l’entreprise dans environ deux pays de l’espace européen sur trois, selon divers formats. Il s’agit de gérer ensemble l’incertitude d’un avenir commun, les risques d’un futur désirable.

Ont été examinés le modèle réel allemand, et d’autres s’inspirant du libéralisme égalitaire de John Rawls ou du néo-républicanisme de Philip Pettit. Au pouvoir, conçu comme coercitif, on préfère l’autorité réflexive, acceptée, mieux à même de faciliter les coopérations et de poursuivre l’intérêt commun, lequel transcende les intérêts individuels.

Le capital humain et naturel

La codétermination peut être performante : elle permet d’articuler différentes finalités de l’entreprise, mieux que la gouvernance actionnariale ; la valeur ajoutée globale est maximisée plutôt que le profit. Cela suppose une réforme des principes comptables. Une limite est posée sur l’abusus dans le droit de propriété (usus, fructus et abusus). La codétermination est née en Europe ; elle suppose un changement de culture, la formation des futurs administrateurs salariés, la participation aux processus de décision stratégique, le dialogue social, la cogestion écologique, la comptabilisation du travail comme valeur et pas seulement comme charge. Au fond, le capital humain et le capital naturel entrent en ligne de compte au même titre que le capital financier.

Un statut de Société européenne (SE) a été défini par la cinquième directive (1972). De la directive du 22 septembre 1994, sont nés, pour les entreprises de plus de mille salariés, plus de mille Comités d’Entreprise européens (CEE). Un statut de Société ou Entreprise européenne (SE) a été défini en 2001 et est entré en vigueur en 2004. Début 2014, ces SE étaient au nombre de 2.115, beaucoup étant en Allemagne, République Tchèque… La codétermination y est parfois partie intégrante, surtout en Allemagne.

 

La société : inspiration pour l’entreprise

Avant tout, l’entreprise doit définir sa raison d’être, sa mission (« purpose »). La société a au moins 2.000 ans. Le droit connait plus la société que l’entreprise, notamment en tant qu’action collective des marchands, impliquant responsabilité mutuelle des associés. L’actionnaire, individuel, atomisé, s’est peu à peu professionnalisé, spécialisé, diversifié (avec les gestionnaires d’actifs, les investisseurs institutionnels, les collecteurs d’épargne, les fonds souverains ou spéculatifs). La financiarisation de l’économie a entraîné une déformation de l’entreprise et une industrialisation de l’actionnariat. Les enjeux écologiques interrogent l’entreprise sur sa contribution au bien commun, ses modes de gestion.

Différente des entreprises de l’économie sociale et solidaire, l’entreprise à mission ou à objet social élargi inscrit, dans sa constitution même, des buts sociaux, environnementaux, scientifiques, etc. à côté de la nécessité du profit (réinvesti, distribué). Des normes de gestion et de révision en découlent. Une révision du Code civil et du Code de Commerce est envisagée. Les membres de l’entreprise devraient y trouver du sens, un enjeu important pour l’humanité, pour les chrétiens. Des convergences émergent, esquissant un modèle européen de l’entreprise, différent des modèles capitalistes anglo-saxon ou asiatique. Va-t-on vers l’intégration, dans l’entreprise, du bien commun universel, prôné notamment par le pape François ?

 

Retour sur la situation au Sahara-occidental, pays méconnu au cœur de toutes les convoitises, notamment celle du Maroc.