Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Un demi-siècle nous sépare de mai 68. De ce printemps chaud, les interprétations sont contrastées : libération, pour les uns, chienlit pour d’autres. Il serait prétentieux de dresser un bilan qui distribuerait bons et mauvais points.

 

À quoi bon encenser quelques héros ou dénoncer des meneurs, qui auraient tout prévu et organisé. L’événement dépasse ses propres acteurs. Nul n’est maître des effets qu’il produit. Retenons que ce moment éruptif n’est pas né de rien ; il a ouvert la voie à des mutations profondes et imprévues. Il a sans doute aussi masqué des enjeux qui apparaissent comme les questions majeures aujourd’hui.

Des signes précurseurs et un printemps agité

Dès 1965, les changements vont bon train, portés par un vent d’optimisme. Enfin la France n’est plus en guerre : les jeunes hommes peuvent oublier les conflits coloniaux pour penser à une coopération internationale, les budgets nationaux ne sont plus plombés par l’armée. La scolarisation des « ados » fait émerger un monde de jeunes, avec ses musiques et ses codes, tandis que la télévision ouvre des horizons jusqu’alors inconnus. L’autorité des anciens, des clercs, mais aussi des politiques, s’en trouve secouée.

À l’image de ce qui se produit en plusieurs pays, en France le terrain est favorable pour cette irruption aux allures de fête et de chaos, de libération de la parole et d’idéologie bornée, de créativité généreuse et de repli sur l’individu. On peut parler de révolution, même si les différents acteurs ont su éviter les violences meurtrières : les modes de vie et les idéologies se mettent à bouger. Une nouvelle génération se fait une place en bousculant des équilibres issus de la deuxième guerre mondiale et de la reconstruction, en se démarquant des débats liés à la décolonisation.

Un nouveau monde aux contours imprévus

Si la fièvre a enflammé la société en 1968, c’est vers 1973 que s’opèrent des mutations profondes : crise du pétrole, montée du chômage, alertes sur l’avenir de la planète… L’ouverture au vaste monde avive les concurrences et active les élans humanitaires. Les requêtes de libertés secouent les traditions et les figures imposées, au risque de dériver vers un individualisme libertaire laissant libre cours à un marché exacerbé : tant pis pour les plus faibles ! Les idées tournent à l’évanescence quand la « com’ » devient dominante, alimentant un commerce florissant.

En raison notamment du développement des sciences humaines, les références morales se trouvent disqualifiées. Certes, on peut noter ensuite le retour en grâce d’un vocabulaire éthique, mais il privilégie souvent la quête individuelle d’un confort de vie et se réduit parfois à des slogans diffusés sur un ton assuré.

L’éruption de 68, avec les reconfigurations produites au cours des années suivantes, a profondément marqué l’éthos commun : les images d’une existence convenable, et plus encore les manières de vivre, ont bougé rapidement. Pensons notamment aux changements importants dans les manières de « faire famille ». Tout cela peut conduire à un conflit de nostalgies entre qui rêve d’un retour aux années 50 et qui ne se console pas d’avoir perdu l’esprit 68.

Pourtant, cette génération 68 a été tentée de garder les clés du pouvoir, tant celui des idées que des institutions, au prix souvent d’amples virages idéologiques et d’incohérences à répétition. La crise actuelle des modèles politiques forgés dans les années 70 marque la fin d’un cycle, tout en étalant au grand jour les turpitudes de postures superficielles.

Des responsabilités à prendre au sérieux

Le temps est venu de repérer les points aveugles de ce qui se présentait comme une modernité festive. L’esprit de responsabilité n’a pas toujours brillé ; la polarisation sur le court terme et l’efficacité immédiate a obscurci les prises de conscience concernant des problèmes majeurs de notre temps. Et l’éthique a trop servi de garniture pour des appétits parfois peu avouables.

Les défis d’aujourd’hui (écologie, mondialisation, numérique) mettent à mal les rêves trop naïfs et nous obligent à prendre en compte les perspectives du long terme. Oui à l’imagination au pouvoir, non pour satisfaire des envies immédiates, mais pour envisager des projets réalistes et bénéfiques pour les générations à venir ; il faut pour cela bousculer le confort tant de traditions paresseuses que d’une modernité trop légère. La créativité est utile quand elle permet de déployer la responsabilité personnelle et collective. Le désir de faire de sa vie une œuvre demeure louable s’il assume des solidarités effectives et sert une fraternité qui ne se paie pas de mots.

Certes, on peut surjouer la confrontation, se complaire en débats stériles qui réveillent des slogans de 68 et ravivent en écho des rancœurs réactionnaires. Les commémorations peuvent alors virer à la comédie. Mieux vaut questionner les ratés de ces périodes qui oubliaient trop souvent l’esprit de responsabilité, tant dans la vie individuelle que commune. Comment, ensemble, réduire les pauvretés, accueillir dignement les migrants, assurer l’avenir de notre terre ? Ravivons de vrais débats qui ne se réduisent pas à des flots d’images et de paroles. Suscitons de vraies rencontres solidaires et des alliances qui engagent effectivement.

Au-delà des souvenirs enjolivés et des paniques rétrospectives, permettons que les jeunes générations avancent en développant une vigoureuse responsabilité qui mobilise une intelligence créative, collaborative, généreuse.

Entre deux échéances électorales, retour sur la situation politique du Cambodge.

Un récent article des Échos titrait : « Le buzz aux États-Unis : plusieurs entreprises rompent leurs liens avec le lobby des armes » (26 février 2018). Auprès de nombreuses instances politiques ou économiques, le lobbying a pris une ampleur considérable. Le mouvement Pax Christi invitait à réfléchir à ce phénomène, lors d’un colloque à l’Institut Catholique de Paris, le 10 mars 2018 : « Vérité & Pouvoir : quel rôle pour les lobbies ? ».

 

Le mot latin médiéval laubia (galerie, portique – IXe siècle), est passé (1) en vieil haut allemand : louba (auvent, hall, toit), et (2) en vieux français : laubja, abri de feuillage, antichambre (vers 1135), niche, galerie, tribune (vers 1200), guérite (1430), loge de portier (1660), salle de spectacle (1680) ou acteur (1762), lieu de réunion de francs-maçons (1740). De là, découlent deux termes anglais : (1) lobby (passage couvert, cloître – vers 1550) et (2) lodge (hutte de chasse, atelier de maçon – vers 1500). Vers 1630, le mot lobby désigne aussi les couloirs de la Chambre des Communes ; il signifie aujourd’hui vestibule, couloir, hall, coulisse.

Nous voici renvoyés à un lieu de passage et de possibles rencontres, fortuites ou calculées, et à ce qui peut s’y tramer : du lobbying. Traditionnellement, ce terme est attribué au Président Ulysses Grant (1869-1877), qui désignait ainsi les pressions politiques s’exerçant dans le lobby du Willard Hotel de Washington DC, où il partageait volontiers, le soir, cigares, brandy et propos. Ce mot était déjà utilisé en Pennsylvanie en 1808. Au lobbying est facilement associée l’idée de corruption dans les pays latins, qui peuvent préférer le terme de plaidoyer.

Le lobbying, un obstacle ou une chance pour la paix ? Fait-il prévaloir l’intérêt particulier ou peut-il être au service du bien commun et favoriser la construction d’une société harmonieuse ?

Comme le marché, les lobbies existent

Philipponnat, de Finance Watch, a montré la possibilité de capture de l’intérêt général par des intérêts particuliers, par l’argent, la culture, la proximité malsaine élus/banques, la sociologie des lobbyistes (même formation, carrières croisées public/privé). Finance Watch opère du contre-lobbying face aux lobbies bancaires et signale les procédés des activistes : ne jamais rien concéder, toujours se plaindre, marteler le même message, s’aider d’études scientifiques biaisées (réalisées par des « tobacco professors»), augmenter la complexité pour contourner les normes, etc.

Comment agir ? Il faut réglementer le lobbying, imposer une transparence, l’intégrité des informations et leur libre accès, équilibrer les débats, proposer un contre-lobbying non agressif, ni excessif, mais techniquement crédible, et « voir le diable en face », ajoute Étienne Perrot !

Il y a entre 15.000 à 40.000 lobbyistes à Bruxelles. D’un point de vue éthique, Étienne Perrot rappelle que le bien commun doit aussi tenir compte des intérêts particuliers ; des lobbies de contrepoids peuvent insuffler l’intérêt général (écologie, paix, justice, etc.). L’éthique commence avec l’indignation ; elle suppose aussi la formation progressive de la conscience. Après un rappel des thèses de St Thomas d’Aquin sur la justice, l’intervenant ajoute la nécessité de la justice sociale, d’impulser dans le légal du légitime et de chasser l’illégitime. Didier Sallé, lobbyiste, décrit positivement son métier de conseiller : savoir à qui, comment et quand … parler ; brosser la cartographie des décideurs ; connaître les agendas institutionnels ; organiser les contacts. Le lobbyiste est parfois appelé comme expert.

Des ateliers thématiques (énergie et nucléaire, agro-alimentaire, santé, armement) et une table-ronde (un lobbyiste, Transparency International, un ancien ministre, un évêque, deux hauts fonctionnaires, français et européen) concluaient la journée.

Il existe une « réglementation juridique européenne des activités de lobbying » (22 mars 2017). La tenue d’un registre des lobbyistes est recommandée aux États. L’Église est représentée à Bruxelles (COMECE) sans être un lobby. En France, il existe une instance de dialogue dite « Matignon », entre le pouvoir et les religions. L’article 38 du projet de loi française, en discussion, prévoit de retirer les cultes de la liste des lobbies et d’accroître la traçabilité des flux financiers à l’origine des projets d’édifices de culte (La Croix, 22 mars 2018, p. 21).