Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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En septembre 2015, l’Assemblée Générale des Nations Unies fera le bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et proclamera les Objectifs de Développement Durable (ODD) qui guideront la communauté internationale jusqu’en 2030.

En novembre 2014, le Secrétaire Général des Nations Unies va publier une synthèse des travaux réalisés pour préparer ces ODD et lancera la dernière phase des négociations entre les Etats, pour aboutir au texte qui sera voté lors de l’Assemblée Générale de 2015.

Cette Assemblée Générale sera historique, comme l’a été celle de l’an 2000, avec sa Déclaration du Millénaire assortie d’Objectifs du Millénaire pour le Développement, car les Objectifs de Développement Durable auront un impact aussi important que celui des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : un fort impact, mais des résultats mitigés.

Même s’ils restent peu connus du grand public, les Objectifs du Millénaires pour le Développement[1], élaborés pour la période 2000 – 2015, ont contribué depuis 2000 à une accélération sans précédent de la diminution de la pauvreté extrême dans le monde. Ils ont en effet joué un rôle majeur pour mobiliser les différents acteurs du développement. Simples, clairs, mesurables, ils ont relancé l’action des donateurs d’aide publique au développement, mobilisé les Etats du Sud dans la lutte contre la pauvreté, et mis en place un système de suivi qui permet d’évaluer les progrès réalisés à l’échelle internationale. Ils offrent aux sociétés civiles de tous les pays un instrument de contrôle des politiques publiques. Pour toutes ces raisons , ils ont représenté, à l’aube du troisième millénaire, un « signe des temps » et un espoir pour l’avenir.

Où en est-on des Objectifs du Millénaire pour le Développement aujourd’hui, à moins d’un an de leur échéance ? Chaque année, les Nations Unies publient un rapport fort documenté, faisant état des avancées et des difficultés dans la réalisation des OMD. Le rapport de 2014 montre que plusieurs cibles des OMD ont été atteintes. En particulier, la cible la plus emblématique, celle de diminuer de moitié entre 1990 et 2015 la proportion de personnes vivant dans la pauvreté extrême (c’est-à-dire sous le seuil de pauvreté absolue, établi à 1,25$/personne/jour) a été atteinte dès 2010. Cela est dû essentiellement au spectaculaire développement de l’Asie, et surtout de la Chine. La cible concernant l’amélioration des conditions de vie dans les bidonvilles a été largement dépassée (plus de 200 millions de personnes vivant dans les bidonvilles ont vu leurs conditions de vie sensiblement améliorées, soit plus du double de la cible initiale), montrant ainsi que cette cible était trop modeste dans un contexte de forte urbanisation du monde. L’accès à une source d’eau potable améliorée a été réalisé pour 2,3 milliards de personnes. La lutte contre le paludisme et la tuberculose donne enfin des résultats spectaculaires.

Malgré ces bons résultats, le bilan global des OMD reste cependant mitigé. Tout d’abord, les avancées sont contrastées selon les objectifs, les pays, et, en leur sein, les régions et les populations. Par exemple, même si la pauvreté extrême a fortement reculé en pourcentage, 1,2 milliard de personnes vivent encore avec moins de 1,25$ par jour, 400 millions restent privées d’accès aux services sociaux de base et plus de 800 millions souffrent de la faim. Sur un plan géographique, l’Afrique subsaharienne est particulièrement éloignée de l’atteinte des objectifs en matière de lutte contre la pauvreté, la malnutrition, la  mortalité maternelle et infantile.

L’objectif de diminuer de moitié la proportion de personnes souffrant de la faim entre 1990 et 2015 n’est pas encore atteint mais paraît réalisable. Nous sommes passés d’une proportion de personnes sous-alimentées de 24% à 14%. Une mobilisation politique intense, souhaitée par la société civile, permettrait d’atteindre cette cible hautement significative. De même, il reste encore énormément à faire pour atteindre la cible concernant la mortalité maternelle : « réduire des trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle ». En 2013, 300.000 femmes sont encore mortes en donnant la vie. Au plan mondial, le taux de mortalité maternelle n’a diminué que de 45 % entre 1990 et 2013. Sachant qu’une grande part de cette mortalité maternelle est évitable, et que les très fortes inégalités dans ce domaine sont un bon indicateur de la situation des femmes dans la société, de plus grands efforts sont nécessaires pour que toutes les femmes enceintes bénéficient de soins adéquats.

Les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ont continué à augmenter à un rythme accéléré, avec une hausse de 50% des taux de CO2 dans l’atmosphère entre 1990 et 2011. C’est sans doute là le principal échec des OMD : l’absence d’impact sur plusieurs enjeux environnementaux majeurs (gaz à effet de serre, déforestation toujours aussi massive, perte de biodiversité).

Les Objectifs de Développement Durable (ODD) : une opportunité pour le monde qui vient.

Pour succéder aux OMD, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptera en septembre 2015 des Objectifs de Développement Durable. Ceux-ci chercheront à finir le travail des OMD – en particulier éradiquer la pauvreté extrême – et à corriger certaines faiblesses des objectifs précédents, en prenant en compte la nécessaire réduction des inégalités et en intégrant mieux les questions environnementales.

Pour préparer ce vaste chantier, les Nations Unies ont lancé – et c’est tout à leur honneur – plusieurs processus très participatifs  qui convergent actuellement afin d’aboutir aux futurs ODD. Pour faire le bilan des OMD et préparer la nouvelle phase (post-OMD), l’ONU a mis en place un panel de haut niveau qui a rendu son rapport en mai 2013 et a fortement inspiré le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies lors de l’Assemblée générale de septembre 2013. Ces réflexions ont été préparées et complétées par une cinquantaine de consultations nationales, 9 consultations thématiques et des contributions en ligne.

Pour la construction des nouveaux Objectifs du Développement Durable, l’ONU a mis en place, à l’issue du Sommet de la Terre de Rio en 2012, un Groupe de travail ouvert. Celui-ci a rendu son rapport en juillet 2014 et ses propositions d’ODD ont été discutées lors de l’Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2014 (actuellement 17 ODD et 169 cibles !).

Un Comité intergouvernemental d’experts a élaboré des propositions sur le financement des ODD, qui ont aussi été discutées lors de la dernière Assemblée Générale de l’ONU. La somme des rapports et contributions préparatoires à l’AG de 2015 est donc considérable, d’autant plus qu’il faut y ajouter les nombreuses contributions de la société civile, très impliquée. Tous ces travaux ont convergé ou convergent actuellement et le Secrétaire Général des Nations Unies en présentera la synthèse en novembre 2014. L’année 2015 sera consacrée aux ultimes négociations interétatiques, en particulier sur l’épineuse question du financement, et aux derniers arbitrages, avec en toile de fond les deux grands rendez-vous de la fin d’année 2015 : l’AG des Nations Unies en septembre 2015 à New York qui adoptera les Objectifs de Développement Durable pour la période 2015 – 2030, et la 21ème  Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (ou COP 21) qui aura lieu en décembre 2015 à Paris et qui s’annonce décisive pour l’avenir du régime climatique international. Ces deux grands événements internationaux sont issus de processus différents  mais leurs enjeux sont évidemment interconnectés.

Les futurs Objectifs de Développement Durable seront considérés comme « universels », c’est-à-dire qu’ils s’adresseront à tous les pays, du Nord comme du Sud. Ils seront aussi contextualisés pour chaque pays, avec un plan national d’action. Par exemple, l’ODD 1 fixe l’objectif d’éradiquer à l’horizon 2030 la pauvreté extrême (moins de 1,25$/personne/jour). Voilà un bel objectif, ambitieux mais réalisable au prix d’une forte volonté politique. En tant qu’objectif universel, il s’applique à tous les pays. Pour les pays européens, l’éradication de la pauvreté extrême devrait signifier de faire diminuer la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté relative défini pour ces pays (60% du revenu médian), et plus encore de diminuer l’intensité de la pauvreté (pour que personne ne vive avec moins de 40% du revenu médian).

Parmi les 17 ODD proposés, les 6 premiers se situent dans la continuité des OMD (c’est la perspective d’aller au bout de ce qui était visé avec les OMD).

Un ODD est consacré aux inégalités, ce qui marque la prise en compte – enfin – de l’accroissement dramatique des inégalités à l’intérieur de nombreux pays du monde entre 2000 et 2015.

5 ODD sont consacrés aux questions économiques et d’emploi. Il s’agit là d’une nouveauté, fortement promue par le « Panel » de haut niveau dont le rapport a été publié en mai 2013. 3 ODD concernent les enjeux environnementaux (le principal échec des OMD), avec l’apparition d’un ODD consacré à la lutte contre les changements climatiques – jugé trop peu ambitieux par beaucoup. Enfin, le 16ème ODD traite de l’Etat de droit, de la paix et de la redevabilité des institutions (il fait encore l’objet d’intenses discussions), tandis que le 17ème ODD livre des recommandations en matière de mise en œuvre et de financement (un objectif au contenu décevant).

Si l’on peut reprocher au texte actuel une approche assez classique du développement, avec une insuffisante remise en cause des modes de vie dispendieux et tournés vers la consommation plutôt que la relation, les meilleures prise en compte des inégalités et des enjeux climatiques constituent  de réels progrès.

Plus largement, cet exercice commun de construction d’un cadre universel pour le développement durable pousse l’ensemble des Etats à réfléchir à un horizon (15 ans) qui va au-delà des cycles électoraux. Il offre aussi à la société civile une formidable opportunité de contribuer à ces débats – ce qu’elle fait au moyen  de plusieurs coalitions d’envergure – et une possibilité d’effectuer ensuite un suivi vigilant des engagements pris dans le cadre des ODD, ce qui se révélera  sûrement nécessaire. C’est là une fonction essentielle de la société civile.

[1] Il existe huit OMD, déclinés en dix-neuf cibles : Réduire l’extrême pauvreté et la faim. Assurer l’éducation primaire pour tous. Promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes. Réduire la mortalité infantile. Améliorer la santé maternelle. Combattre le sida, le paludisme et d’autres maladies. Assurer un environnement durable. Mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Le pétrole, le gaz, le charbon, sont la sève de nos sociétés industrialisées : l’épuisement de ces énergies bouleverserait nos modes de déplacement, de chauffage, d’alimentation, de production industrielle.

A plus ou moins brève échéance, il est programmé. Difficile d’estimer avec précision les réserves de ressources fossiles, mais, paradoxalement, une chose est sûre : il y en a trop ! Car l’urgence n’est pas tant leur raréfaction que le dérèglement climatique. L’exploitation des énergies fossiles est à l’origine de l’essentiel de nos émissions de gaz à effet de serre. Or la longue durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère en fait une bombe à retardement.

Nos sociétés conditionnent l’écosystème dans lequel vivront nos descendants. Que l’on continue à brûler ces énergies au rythme qui est le nôtre, et la température moyenne de notre planète aura augmenté de 6° d’ici 2100 – une année que connaîtront peut-être mes filles… Cette moyenne cache des variations, dans l’espace comme dans le temps. La France, qui n’est pas la plus menacée, verrait, entre autres effets, la culture viticole fortement affectée, et des canicules comme celle de 2003 (10 000 morts) devenir l’habitude.

L’urgence climatique est là, et bien là. Et nous ne bougeons pas, ou si peu. Faire confiance au marché ? Quand les cours de l’énergie augmentent, ils donnent une indication –mâtinée de spéculation – de la rareté de la ressource disponible à court terme (des facteurs géopolitiques entrent en compte), non de leur impact sur le climat. Et le prix ridicule du carbone n’y change rien. D’ailleurs le boom des gaz de schiste outre-Atlantique a fait chuter le cours du gaz, et incidemment celui du charbon. Les politiques ? Eux ont la clé. Mais les questions sociales, budgétaires ou sécuritaires relèguent bien loin le climat dans la hiérarchie de leurs préoccupations. L’Union européenne a certes pris quelques engagements à l’horizon 2030. Mais combien de reculades au nom de la compétitivité ? Quel budget pour opérer les transitions nécessaires ?

Il est commode, pour se dédouaner, de faire du climat une préoccupation de « bobos ». Pourtant, « ce sont certains pays en développement qui font les frais des controverses [sur l’origine humaine des changements climatiques ou l’ampleur des conséquences] dans les pays développés  »[1], rappelle le Malien Youba Sokona, qui co-préside un des groupes du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Car des dizaines de millions de personnes, dans l’hémisphère Sud, seront contraintes de quitter leurs terres devenues infertiles ou inondées. Le dérèglement climatique pose d’ores et déjà de lourdes questions de justice : « Les pays développés doivent baisser leur consommation d’énergie afin de permettre aux pays qui doivent se développer d’améliorer leurs conditions d’existence », poursuit Sokona. Comment ne pas entendre cette interpellation ?

L’année 2015 sera décisive. En décembre, Paris accueillera la COP21, la Conférence des États parties, pour fixer un cap et répartir les responsabilités afin de limiter le réchauffement moyen à 2° d’ici la fin du siècle[2]. Pays hôte, la France joue un rôle clé dans cette négociation (qui se prépare dès à présent à Lima). Les chrétiens ont une voix à faire entendre. Tous les monothéismes se rejoignent sur ce point : la planète ne nous appartient pas ; elle nous est confiée comme un trésor à transmettre, plus belle encore. Si l’annonce de la catastrophe paralyse souvent plus qu’elle ne mobilise, les chrétiens ont pour tradition de déceler un sens dans l’épreuve. Et pour responsabilité de faire vivre l’espérance. Non pas une contemplation béate des catastrophes qui viennent, mais une espérance dans l’action : donner aux dirigeants politiques le courage qui parfois leur manque pour assumer le leadership qui leur échoit ; montrer qu’un mode d’être au monde plus sobre, plus solidaire, est possible en entrant nous-mêmes sur ce chemin de conversion.

[1] Youba Sokona, « Climat : et si l’Europe se souciait des pays du Sud ? », Revue Projet n°343, déc. 2014.

[2] Pour une description précise de l’état des connaissances sur le climat et du processus de négociation, Cf. Martin Kopp, « Climat : de la science à la politique », Revue Projet n°342, octobre 2014.