Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

La sauvegarde de la création au cœur du dialogue œcuménique

Les Églises chrétiennes témoignent de leur foi en un Dieu créateur et sauveur « du ciel et de la terre ».
Or la crise écologique interpelle radicalement nos Églises. Comment les questions soulevées par cette crise invitent-elles à retrouver les richesses de nos liturgies et de nos spiritualités ? Inversement, comment celles-ci se laissent-elles interroger par les défis écologiques de notre temps ? De quelle manière ces défis questionnent-ils nos compréhensions de l’articulation entre justice et charité ?
La perspective partagée d’une « fin des temps », qui ne soit pas réductible aux temps de la fin, peut-elle inciter les Églises à partager leurs ressources pour penser ensemble la préservation de la « « maison commune » ?

Journées d’études (Présentiel et distanciel), sur inscription
Vendredi 10 février 2023 (18h45 – 21h30) à l’institut de théologie orthodoxe Saint-Serge – Paris
Samedi 11 février 2023 (9h30-18h00) au Centre Sèvres – Paris

Télécharger le programme complet (PDF) – Télécharger l’affiche  (PDF)

Au Vatican, le 9 janvier 2023
Discours du Pape François aux membres du Corps Diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège pour la présentation des vœux pour la nouvelle année.

Dans de nombreux pays par le monde, des vœux sont solennellement échangés en début d’année entre le corps diplomatique et le Chef de l’Etat. Le Saint-Siège entre dans cette coutume et la rencontre formelle entre le Pape et les ambassadeurs accrédités, qu’ils résident ou non à Rome, constitue un moment privilégié. Au discours déférent du doyen du corps diplomatique – Chypre actuellement -, le Saint-Père répond en développant longuement une vision de l’état du monde fondée sur ses analyses et celles de la Secrétairerie d’État, sur ses voyages présents et à venir, et sur le magistère de l’Eglise forgé au cours des siècles mais adapté aux réalités contemporaines. Un bref échange intervient ensuite entre le Pape et chaque ambassadeur, avant une « photo de groupe » en la chapelle Sixtine.

De tradition, l’occasion est d’abord saisie pour un rapide rapport d’actualité sur les relations diplomatiques qu’entretient le Saint-Siège avec, aujourd’hui, plus de 93% des États; la progression du nombre d’ambassadeurs résidents est notamment relevée (quatre de plus cette année : Suisse, République Démocratique du Congo (RDC), Mozambique, Azerbaïdjan) et le Pape a toujours des mots aimables pour le métier diplomatique, décrit comme un « exercice d’humilité ». Les accords officiels signés l’année d’avant sont mentionnés. En 2023, une mention spéciale a été accordée à la Chine, avec laquelle, « dans le cadre d’un dialogue respectueux et constructif », l’accord provisoire de 2018 sur la nomination des évêques a été à nouveau prorogé de deux ans. Des voyages sont aussi annoncés ou confirmés : François se rendra fin janvier en RDC et au Sud Soudan, où l’accompagneront l’archevêque de Canterbury et le Modérateur général de l’Église presbytérienne d’Ecosse.

Mais c’est ensuite à un long exposé auquel le Pape procède, au cours duquel nombre des positions fortes du Saint-Siège sont rappelées au regard de l’actualité internationale, mais sous un fil conducteur chaque année renouvelé.

Or 2023 marquera le soixantième anniversaire, le 11 avril, de l’encyclique Pacem in terris, signée de Jean XXIII. C’est donc sous l’invocation de ce texte à la portée si profonde pour l’Église catholique et apostolique qui préparait alors le Concile Vatican II, mais adressé aussi à tous les hommes de bonne volonté, que François s’est placé en en citant le titre : « Sur la paix entre toutes les nations, fondée sur la vérité, la justice, la charité, la liberté », et en passant au crible de ces quatre vertus bien des problèmes et malheurs que connaît aujourd’hui le monde.

Au préalable, le Pape a procédé à un bref tour d’horizon, appuyé sur deux de ses convictions profondes :

– cette troisième guerre en morceaux qui fracture un monde globalisé : le conflit insensé en Ukraine et ses conséquences sur les flux mondiaux d’énergie et d’alimentation; la Syrie où une réforme constitutionnelle est nécessaire; Jérusalem, où la solution à deux États doit être réaffirmée; le Caucase du Sud; le Yémen et l’Éthiopie, où les efforts de pacification doivent se poursuivre; plusieurs États africains en processus fragiles de transition (Soudan, Mali, Tchad, Guinée, Burkina Faso); la Birmanie; la péninsule coréenne.

– la possession « immorale » de l’arme atomique, sous la menace desquelles tout le monde est perdant. A cet égard, l’impasse de l’accord sur le nucléaire iranien est préoccupante.

Ensuite, le Pape a donc décliné les quatre piliers de Pacem in terris en en illustrant les exigences par des situations auxquelles l’Église est particulièrement attentive.

La vérité affronte les peurs. La vérité est absente quand les femmes sont considérées comme des citoyens de seconde zone, alors qu’elles peuvent apporter leur contribution irremplaçable à la vie sociale et être les premières alliées de la paix. La vérité appelle les États à garantir l’assistance des citoyens à chaque étape de la vie humaine, de la conception à la mort naturelle. Elle appelle à l’abolition de la peine de mort dans la législation de tous les pays. Elle doit avoir raison des peurs : peur de la vie qui génère dans certains contextes une baisse dangereuse de la natalité; peurs se nourrissant de l’ignorance et des préjugés et dont l’éducation est l’antidote; peur de la liberté religieuse, qui génère les persécutions pour motifs religieux. La vérité du christianisme, c’est la conversion et l’exercice de la vertu.

La construction de la paix exige que la justice soit poursuivie. La justice, c’est la conviction que les différends peuvent être résolus dans le cadre du droit international et par la diplomatie multilatérale. Cela passe par la nécessité de repenser en profondeur le système multilatéral pour éviter les mécanismes qui donnent plus de poids à certains États au détriment des autres. Il faut proscrire les polarisations et les tentatives d’imposer une pensée unique ou des formes de colonisations idéologiques. Il est nécessaire de revenir au dialogue, à l’écoute mutuelle, à la négociation, en privilégiant la responsabilité partagée et la coopération.

Les chemins de la paix sont des chemins de charité et de solidarité. Cela doit s’appliquer aux migrations, face auxquelles il n’est pas permis de procéder en rangs dispersés. Par ailleurs il faut redonner de la dignité à l’entreprise et au travail, en luttant contre toute forme d’exploitation qui finit par traiter les travailleurs comme une marchandise. Il faut aussi veiller à notre maison commune et partager entre États, chacun à la mesure des ses responsabilités et capacités, une réponse efficace et adéquate aux défis du changement climatique et de la perte de biodiversité.

Enfin la construction de la paix exige qu’il n’y ait pas d’atteintes à la liberté, à l’intégrité et la sécurité des nations, quelles que soient l’étendue de leur territoire et leur capacité de défense. Elle exige également de combattre l’affaiblissement de la démocratie menacée par l’augmentation des polarisations politiques et sociales.

Pour conclure, François cite saint Jean XXIII : « Il est permis d’espérer que les peuples, intensifiant entre eux les relations et les échanges, découvriront mieux les liens d’unité qui découlent de leur nature commune; ils comprendront plus parfaitement que l’un des devoirs primordiaux issus de leur communauté de nature, c’est de fonder les relations entre les hommes et entre les peuples sur l’amour et non sur la crainte ».

Le tableau ci-joint  classe de manière plus détaillée les thèmes évoqués.
Le texte intégral du discours peut être consulté  ICI

Il devient banal d’évoquer la crise du politique. Plutôt qu’en rajouter dans la déploration, un atelier du Centre théologique de Poitiers a rassemblé 13 personnes qui ont travaillé sur le thème : Fonder la vie commune. Les membres du groupe vous proposent ce message : quelques réflexions qui ne constituent pas un projet politique ; il s’agit plutôt de repères éthiques à partager largement.

Janvier 2023

Inquiétudes et promesses. On ne peut l’ignorer, l’ambiance est souvent déprimante, en raison de la crise écologique, des tensions sociales, de la guerre à nos portes. Faut-il consentir à un inévitable effondrement en raison de pratiques irresponsables et de violences destructrices ? Pourtant, les signes de vie ne manquent pas, avec des engagements en vue d’un rapport plus respectueux à la nature, de solidarités parfois étonnantes, d’une ouverture à l’avenir des générations qui montent.

Développement personnel et bien commun. On peut et on doit parler des épreuves qui peuvent affecter chacun et qui disloquent les relations sociales ; l’expérience humaine prend parfois un tour tragique. Nous nous rappelons que toute vie demeure sous le signe de la fragilité : notre sens des responsabilités nous conduit alors à prendre soin les uns des autres, de la cité, de la nature. Ainsi se dessine une vie commune qui fait appel aux capacités de chacun. De tels rebonds positifs reposent sur l’espérance et ils la nourrissent. En effet, il est alors possible de traverser et de surmonter les épreuves, tant personnelles que collectives ; autant de petites victoires qui soutiennent une avancée, aussi bien pour les personnes concernées que pour la vie commune, et qui tissent des solidarités inédites. Il importe donc de promouvoir le sens d’un bien commun qui ne se réduit pas à la somme des intérêts particuliers. Il en va de l’avenir de la vie sur notre terre et donc aussi de l’humanité.

Peur de l’autre ou amitié sociale. L’organisation de la vie collective suppose une qualité de relation entre les membres de la cité. Nous ne choisissons pas nos compagnons de route : ils nous sont « donnés ». Allons-nous les reconnaître comme un don ou comme une cause de malheur ? La fraternité inscrite sur nos monuments publics nous établit comme frères et sœurs. C’est une invitation à tenir debout ensemble, tout en étant conscients de nos limites et de nos fragilités, et à partager un désir de vie commune sous le signe d’une fraternité active. Celle-ci apparaît alors comme une source qui irrigue toutes nos relations. En réponse à notre désir de bonheur, il s’agit d’une promesse de vie qui suppose que nous fassions corps ensemble. L’accueil de l’autre comme un don, et non comme un ennemi, appelle à pratiquer une juste proximité, sous le signe du respect d’autrui. L’amitié sociale devient possible.

Respect et dignité humaine. Le respect d’autrui se réfère à la dignité de chaque personne, ce qui fonde l’égalité, l’un de nos principes républicains. À ce propos, les Déclarations des droits humains représentent une référence fondamentale. La personne se trouve alors reconnue pour elle-même et non seulement pour ce qu’elle peut « rapporter » à l’ensemble. Des termes courants méritent d’être mis en valeur : osons parler d’écoute, de bienveillance, et même d’humilité. La vie sociale n’apparaît plus comme le champ clos de concurrences allant jusqu’à la domination sur son semblable, ouvrant la voie à des violences destructrices. Justement, le respect concret de la dignité humaine implique que l’on soit prêt à prendre des risques. Il s’agit donc d’un combat quotidien, pour éviter de se situer soi-même comme un dominateur qui écrase les autres, pour défendre le plus fragile qui risque toujours d’être oublié ou même rejeté.

De la distance à la confiance. Une vie sociale relativement pacifiée suppose une culture de la confiance, confiance partagée des humains entre eux, confiance dans les institutions. Ce qui veut dire « faire confiance », mais aussi « être digne de confiance » en tenant ses engagements à tous les niveaux, ce qui vaut tout spécialement pour les responsables politiques. Dans le cadre des institutions, il importe d’agir de manière juste, ce qui suppose des relations de proximité avec les élus et les administrations ; la distance et la bureaucratie altèrent la confiance. La relation à l’autre n’est pas un moyen de tirer profit de lui : l’accueillir comme un don suscite de part et d’autre le désir de donner à vivre. Le mot confiance a la même racine que le mot foi, nous pouvons aussi parler d’espérance.

Un chemin de fraternité. Nous découvrons de multiples signes positifs : notamment le goût de servir la vie et la relation fraternelle, dans les engagements familiaux, professionnels, associatifs, etc. Nous puisons dans l’espérance la volonté et le courage de prendre notre part dans cette vie commune ouverte à l’avenir, sous le signe de la paix intérieure, de la paix civile, de la paix entre les peuples et avec la nature. Nous avons en charge d’humaniser ce monde, non sous le mode d’une domination ravageuse, mais au contraire d’un respect actif et créatif, au service d’une fraternité toujours à inventer. À la suite de François d’Assise, nous pouvons ouvrir cette fraternité à l’ensemble du vivant et à l’ensemble du créé. Un tel chemin de vie nous permet de goûter la joie.

Amour, don et gratuité. Avançons encore d’un pas. Si nous fondons notre vie en commun sur la fraternité, osons parler d’amour. Cette référence est souvent réservée à la sphère intime. Mais nous pouvons la solliciter pour parler de nos relations sociales, au-delà des seuls calculs d’intérêts, de comparaisons, d’équivalences. C’était déjà suggéré avec les notions de respect, de bienveillance, d’amitié sociale. Il ne manque pas d’auteurs aujourd’hui pour évoquer l’amour comme un élément essentiel de la vie commune. Ainsi, les relations entre nous ne sont pas dictées seulement par l’intérêt individuel, elles comprennent aussi le goût du don et de la gratuité. Dans une vie commune, chacun donne et reçoit ; nous sommes dans le registre de l’échange continu. Mais il ne suffit pas d’écrire fraternité, un « frère » peut agresser l’autre jusqu’à le tuer. Il nous faut donc apprendre à vivre fraternellement, sous le signe d’une réciprocité qui va jusqu’à l’amour partagé. Notons que l’amour ne peut reposer que sur l’engagement libre de chacun, il n‘y a pas d’amour si l’on est seulement guidé par la peur du châtiment ! Même si le terme amour est peu revendiqué pour évoquer la vie en société, un regard attentif pourra en discerner de multiples signes. La référence à l’amour nous permet de tricoter ensemble les termes de la trilogie républicaine : liberté, égalité, fraternité.

Dieu est amour. Chaque humain porte en lui des germes de vie, d’amour, d’espérance. Les chrétiens reconnaissent la source de cet amour en Dieu qui fait de nous des frères et sœurs en Jésus Christ, ce qui nous invite à servir la vie en pratiquant concrètement une fraternité universelle. Une telle référence à la fraternité permet de fonder la vie commune tout en libérant des énergies susceptibles d’ouvrir à un avenir de responsabilité, de solidarité, de paix partagée.