Le Pape et l’arme nucléaire

Les dangers de l’arme nucléaire et l’obstacle que cette arme représente pour la paix ont été au cœur de récentes déclarations du pape François : au Japon le 24 novembre 2019, dans son message du 1er janvier 2020, dans son discours de vœux au Corps diplomatique le 8 janvier 2020.

Au Japon, François a réaffirmé la condamnation, ancienne, par l’Église catholique, de l’emploi de l’arme nucléaire et renouvelé celle de sa possession, prononcée le 10 novembre 2017. À Hiroshima, il a qualifié « l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins militaires » de « crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune », ajoutant que « nous aurons à en répondre ; les nouvelles générations se lèveront en juges de notre défaite, si nous nous contentons de parler de paix … en construisant de nouvelles et redoutables armes de guerre ».

Le Pape a dénoncé le double discours des dirigeants des pays dotés de l’arme nucléaire – ils parlent de paix tout en développant une stratégie de dissuasion fondée sur la terreur et la défiance mutuelle – et la faille fondamentale de cette stratégie : « Comment pouvons-nous proposer la paix si nous utilisons l’intimidation de la guerre nucléaire comme recours légitime pour résoudre les conflits ? ». Le même jour à Nagasaki, il a été explicite : « la paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute démarche fondée sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total … Elles ne sont possibles qu’à partir d’une éthique globale de solidarité et de coopération ». Le Pape a invité à « briser la dynamique actuelle de défiance qui fait courir le risque d’un démantèlement de l’architecture internationale de contrôle des armements [1]».

Erosion du multilatéralisme

Il a souligné que « l’érosion du multilatéralisme à laquelle nous assistons est aggravée par le développement des nouvelles technologies d’armement », des armes qui « ne nous défendent pas contre les menaces de notre temps ». Et de retenir trois éléments : les effets catastrophiques de tout emploi de l’arme nucléaire sur l’humanité et l’environnement, le climat d’hostilité entretenu entre les peuples par les doctrines nucléaires, le gaspillage de ressources indispensables au développement durable. Le Pape a appelé à une « conversion des consciences », en faveur d’une « culture de la vie, de la réconciliation et de la fraternité ».

Les États sont appelés à s’engager dans la voie collective et progressive du désarmement nucléaire complet et contrôlé, notamment en s’inscrivant dans la démarche d’abolition prévue par le récent traité d’interdiction des armes nucléaires, signé et ratifié par le Vatican. Le 1er janvier, François a indiqué un chemin : la mémoire. Elle invite à se garder des errements du passé, à se rappeler les choix courageux accomplis [2] et « suggère le chemin pour les choix présents et futurs en faveur de la paix ». Il souligne que « il n’y aura jamais de vraie paix tant que nous ne serons pas capables de construire un système économique plus juste, une nouvelle manière d’habiter la maison commune, d’être présents les uns aux autres, chacun dans sa diversité, de célébrer et de respecter la vie reçue et partagée, de se préoccuper des conditions et des modèles de société qui favorisent l’éclosion et la permanence de la vie dans l’avenir, de développer le bien commun de toute la famille humaine ».

Un monde sans armes nucléaires est possible

Une paix authentique se construit dans un cadre multilatéral (au premier chef l’ONU), par le dialogue et la négociation au service du bien commun international. Il faut choisir : défiance mutuelle ou coopération. Dans son discours au corps diplomatique, le Pape a indiqué : « Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire… ce n’est pas la possession dissuasive de puissants moyens de destruction massive qui rend le monde plus sûr, mais plutôt le patient travail de toutes les personnes de bonne volonté qui se dévouent concrètement, chacune dans son domaine, pour édifier un monde de paix, de solidarité et de respect réciproque ».

Et de rappeler une opportunité : du 27 avril au 22 mai 2020 se tiendra à New York la Xe Conférence d’Examen du Traité de non-prolifération des armes nucléaires [3]. « Qu’à cette occasion, la Communauté internationale réussisse à trouver un consensus final et proactif sur les manières d’actualiser cet instrument juridique international, qui se révèle être encore plus important en un moment comme celui-ci ». « Tout est lié » : les progrès du désarmement nucléaire doivent accompagner la recherche d’un nouveau développement mondial solidaire et respectueux de la création.

1 Cf. Lettre n°251 (novembre 2019), p. 1-2.
2 On peut penser à ce propos à la réconciliation européenne d’après la Seconde Guerre mondiale
3 Sera évoqué le désarmement nucléaire, un des trois « piliers » de la non-prolifération avec la renonciation des États non dotés à l’arme nucléaire et leur droit à développer l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Un échec, notamment sur la création d’une zone libre d’armes de destruction massive au Moyen-Orient, affaiblirait encore le régime de non-prolifération lui-même.