Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Image par Luisella Planeta Leoni de Pixabay

En tant que promoteur régional, j’allais écrire un éditorial sur la souffrance des réfugiés et la situation aux frontières de l’Europe, en particulier en Grèce et en Turquie.

Aujourd’hui, la pandémie de Covid-19 attire toute l’attention et nécessite également une réflexion. Tous les analystes s’accordent à dire qu’après cette crise mondiale, il y aura un avant et un après, comme après la Seconde Guerre mondiale. Comme le pape François le répète si souvent, nous vivons dans un monde où « tout est lié » et dans un « changement d’époque ». Deux « signes des temps » se sont imposés à notre soi-disant sécurité. J’écris cette réflexion à partir de celle de l’enfermement chez mes voisins à Madrid et probablement lorsque cette lettre vous parviendra, ce sera le cas dans de nombreux autres pays d’Europe et du monde. Le Carême de cette année nous a menés dans un désert imprévu, il a révélé que nous sommes une seule et même humanité connectée et confrontée aux mêmes défis, aux mêmes fragilités et capacités de résistance. Les virus ne connaissent pas de frontières, la souffrance humaine non plus, et la fraternité chrétienne encore moins, car elle est universelle. Ce moment dans sa dureté mettra à l’épreuve nos gouvernements, notre économie, les valeurs qui prévalent, la responsabilité individuelle et collective. J’espère que cela mettra également à l’épreuve notre solidarité. Confinés dans nos maisons et couvents, nous sommes invités à faire une lecture croyante de ce que nous vivons. Ne pas retirer notre regard de l’horizon qui donne un sens à la vie chrétienne : même dans le désert de l’incertitude, de la peur, notre regard se pose sur le « matin de Pâques ». Bien que cela nous coûte cher, nous sommes capables de réponses partagées et coordonnées au défi de la pandémie. Tant à l’intérieur des pays qu’entre les pays du continent, en comptant également sur la collaboration au-delà de nos frontières. Ensemble, nous mettrons fin à la menace qui pèse sur notre santé et nos modes de vie, en accompagnant et en réconfortant ceux qui souffrent le plus aujourd’hui, ouverts à tirer les leçons de cette expérience. Cette même stratégie est également le meilleur moyen d’arrêter d’autres « virus » : l’aporophobie, la peur des migrants et des réfugiés, et le racisme. Ces défis mondiaux invitent à la coresponsabilité et à l’empathie universelle. Partons du principe qu’au-delà des patries, l’humanité, et l’humanisme qui s’enracine dans l’Évangile, est le véritable patrimoine commun. Résistons et gérons ensemble cette pandémie jusqu’à ce qu’elle soit vaincue, en nous inspirant de deux icônes de l’Evangile : celle du bon Samaritain et surtout celle du bon Pasteur. En tant que frères et sœurs d’une famille internationale, dans la « catholicité » de l’Église, soyons des communautés plus fraternelles, plus priantes et plus actives. Profitons de la créativité et des moyens à notre disposition pour renforcer une pastorale et une charité qui ne connaît pas de frontières. En renforçant la fraternité conventuelle, provinciale, régionale et internationale, vivons et prêchons la consolation, la miséricorde et l’espérance dans le Dieu de la vie, dont le Fils ressuscité « fait toutes choses nouvelles ».

Xabier Gomez

 

QUE NOUS MONTRE CETTE CRISE ?

Une petite réflexion de Cardinal Ravasi sur l’émergence du coronavirus.

Que nous montre cette crise ? Que nous voyons de nouveaux modèles d’amour progresser. Prenons une photo de l’infirmière qui s’endort épuisée au clavier. Elle est le symbole de la générosité dans un monde plutôt égoïste. Les médecins qui risquent la contagion sont un autre exemple d’amour qui n’est pas rhétorique mais concret. C’est comme si une meilleure échelle de valeurs était en train d’être créée. Comme lorsqu’on est confronté à une maladie grave. Même si vous avez beaucoup d’argent et la possibilité d’avoir de meilleurs traitements, l’échelle des valeurs prend un autre disposition. Les affections, par exemple, ainsi que l’invocation à Dieu du non-croyant. Tout ne revient pas à la concrétisation d’un égoïsme immédiat. De nos jours, nous sommes plus préoccupés par les membres de la famille, par notre conjoint. Il existe une éducation que l’on appelle la paideia de la douleur. Saul Bellow a répété que la souffrance sert parfois à enlever le sommeil de la raison et le vide de l’humanité. La banalité superficielle est mise en crise, et l’essentiel devient fondamental ».

Cardinal Ravasi

 

RÉFLEXIONS SUR LA PANDÉMIE EN PROVENANCE D’ITALIE

La pandémie causée par le virus Covid-19 est arrivée en Italie en février. La gravité de la situation n’est pas apparue immédiatement. Depuis le début du mois de mars, le gouvernement a déterminé des mesures progressives pour fermer toutes les activités à l’exception des services essentiels. La propagation rapide de l’épidémie, en particulier dans certaines régions du nord de l’Italie, comme la Lombardie, a provoqué un grand nombre de décès. Jusqu’à présent, plus de 12 000 personnes sont mortes du virus. Cette pandémie a tout d’abord apporté une grande douleur, même dans l’impossibilité d’accompagner les morts et d’être près d’eux au moment de la mort ou dans un dernier adieu avec leurs proches et leurs amis. L’état d’urgence a également mis en lumière les conditions de souffrance de nombreux sans-abri qui ne savent pas où trouver un abri, de prisonniers contraints de vivre dans des prisons où les règles de distance ne peuvent être respectées, de nombreux réfugiés étrangers sans soutien, de ceux qui ont dû travailler même lorsque le risque de contagion était évident parce que les motivations de profit l’emportaient sur les soins de santé. La fermeture de toutes les activités professionnelles est également source de grandes souffrances pour les familles et la population : beaucoup ont perdu leur emploi, la plupart des travailleurs ont été licenciés ou ont pris des congés. Seule une partie du travail pouvait être effectuée par voie télématique (Smart working) et de nombreux travailleurs devaient continuer à travailler sans aucune garantie de mesures de soins de santé. Au cours de cette période, les médecins et les travailleurs de la santé ont fait preuve d’un grand dévouement, exposant leur vie au risque de contagion, et beaucoup ont perdu la vie. À tous les niveaux de la vie sociale, les initiatives de solidarité et de proximité avec les plus faibles se sont multipliées grâce à la protection civile et au bénévolat. Cette situation suscite la réflexion et nous invite à réfléchir à la manière dont nous pouvons sortir renouvelés de cette crise.

Fr. Alessandro Cortesi OP Promoteur JP (Province de Sainte-Catherine – Italie)

 

En premier lieu, la propagation du virus a conduit à la compréhension de la fragilité d’un monde avec des prétentions de toute-puissance et dans lequel prévalent des projets de domination et de guerre. L’ennemi invisible a démasqué la faiblesse d’un monde armé – avec les armes de la finance et de la guerre – mais fragile, un géant d’argile, qu’il fallait arrêter malgré les proclamations de dirigeants politiques ineptes qui minimisaient la gravité de l’épidémie actuelle. Nous n’avons même pas la grammaire pour parler de cette nouvelle situation de fragilité imprévue : nous parlons de guerre et nous utilisons la terminologie du combat, mais l’épidémie est une condition de contagion qui ne nécessite pas la guerre mais des soins et fait que l’autre personne ne se voit pas comme un ennemi mais comme une présence importante à laquelle la vie de chacun est liée. Cette émergence a donné naissance à une nouvelle conscience qui avait été perdue : l’humanité, à tous les niveaux, est inséparablement liée et interdépendante. Différents peuples des quatre coins de la Terre vivent une histoire dans laquelle la possibilité de vie ou de mort est étroitement liée à d’autres. Ces dernières années, nous avons connu une mondialisation qui a généré des injustices et des exclusions. L’interruption de la course au profit que la pandémie a provoquée nous ouvre maintenant les yeux sur le fait que nous vivons la même histoire humaine. Ce n’est qu’en découvrant que nous sommes unis dans une seule humanité et en nous intéressant les uns aux autres que nous pourrons créer des conditions de santé et des opportunités de vie pour tous. Des études scientifiques ont montré que la propagation du virus est étroitement liée au fait que certaines espèces animales porteuses du virus ont été contraintes de modifier leur habitat naturel en raison de l’intervention humaine dans les grandes zones vertes et forestières et de la dévastation des écosystèmes. Cette pandémie révèle qu’un déséquilibre est apparu dans la relation entre l’humanité et l’environnement, ce qui a également eu des conséquences dévastatrices pour la vie humaine sur la planète. L’urgence que nous connaissons devrait être une raison pour une révision profonde du système économique et de production et de l’approche des activités humaines qui ont produit un si grave déséquilibre dans la vie des écosystèmes et dans l’équilibre avec la vie sur Terre. Enfin, au cours de ces mois, nous pouvons voir comment un immense courant de dévouement et de solidarité s’est déplacé face à une grande douleur. C’est le signe d’un potentiel présent dans le tissu de la vie sociale et une raison de tirer une leçon pour l’avenir qui s’ouvrira, un avenir qui verra des pans entiers de la population dans des conditions de faiblesse et d’appauvrissement. Il s’agit de découvrir comment vivre de nouvelles relations marquées par la solidarité entre les individus et les peuples, en prenant soin en particulier des plus faibles et des plus vulnérables, en reconnaissant tout le monde : aucun visage humain ne pourra jamais être considéré comme un rejet et être éliminé. La découverte que nous sommes tous dans le même bateau, que nous ne sommes pas sauvés seuls, mais seulement ensemble et jamais en conflit avec les plus faibles. Ce moment est l’occasion d’un choix et d’une décision qui déterminent un éventuel avenir différent pour nos sociétés, telle est la leçon à tirer en cette période de difficultés et de tant de douleur. Comme vous le savez, le MO a promulgué les nouveaux répertoires avec la fonction et les rôles des Promoteurs JP généraux, provinciaux et régionaux. C’est une demande qui a été reprise par le Chapitre général de Bien Hoa. Les textes approuvés ont été travaillés pendant quelques années par les Promoteurs généraux de JP avec la Commission internationale dominicaine pour la justice et la paix. Nous vous invitons à les connaître, à les diffuser parmi les frères et les sœurs d’Europe et surtout maintenant que nous avons une meilleure compréhension de nos rôles, à les mettre en pratique avec créativité et esprit d’équipe et avec une mission partagée entre nous et en tant que DF.

Mike Deeb, Promoteur Général de JP :

 

INFORMATIONS SUR LES ANNUAIRES DES PROMOTEURS DE JUSTICE & PEACE

Cette promulgation est en effet un moment historique pour la Justice et la Paix dans l’Ordre, car les rôles des Promoteurs de JP à tous les niveaux sont clairement définis et approuvés par le Chapitre Général pour la première fois. Par conséquent, chaque province ou vice-province doit nommer un promoteur de la JP, et tous les promoteurs disposent désormais de directives claires sur ce qu’ils doivent faire et sur la manière dont leur travail doit être évalué.

INFORMATIONS SUR LES ANNUAIRES DES PROMOTEURS DE JUSTICE & PEACE RÉUNION RÉGIONALE DES PROMOTEURS DU JP FIÉSOLE SUSPENDUE

Pour des raisons de santé évidentes, l’équipe organisatrice de la réunion régionale des promoteurs JP de juin 2020 à Fiésole (Italie), a pris la décision de la suspendre ou de la reporter. Il n’est pas facile de prévoir l’évolution des événements jusqu’au mois de juin. Nous espérons que d’ici là, la situation en Europe et dans le monde se sera normalisée, mais compte tenu de l’incertitude, nous avons opté pour la suspension. En fonction des événements, la réunion pourrait être convoquée en septembre, mais nous attendrons. Cependant, je voudrais informer les frères promoteurs que, comme ces deux dernières années, ils devraient préparer un simple rapport avec ce qu’ils font dans chaque province en fonction de leurs programmes respectifs.

Je demanderai ce bref rapport à chacun d’entre vous à la fin du mois de mai. Ce rapport sert à partager et à informer la Commission Internationale Dominicaine pour la Justice et la Paix avec les Promoteurs généraux et régionaux des autres régions, et est également envoyé aux Prieurs Provinciaux et aux partenaires de la MO pour l’Europe (IEOP). Il fait partie de l’objectif d’améliorer la communication et la coordination dans la région. Nous vous remercions de votre compréhension et de votre coopération.

Cette année 2020, l’encyclique Laudato Si’, a cinq ans. Si nous prêtons attention aux événements du monde dans notre contexte local, national et mondial, nous constatons que le diagnostic, le discernement et les propositions de cette Encyclique ajoutée au Magistère social de l’Eglise, sont plus actuels et nécessaires que jamais. La commémoration du cinquième anniversaire est une excellente occasion de nous interroger sur la réception de ce texte magistral dans nos églises locales et dans nos provinces ou entités. Pas tant que ça, comment a-t-elle été reçue ? Mais comment pouvons-nous aider l’Église et l’Ordre à mettre en œuvre ce qui est proposé dans Laudatus Si’ ? En tant que promoteur régional, j’ai écrit à tous les promoteurs pour les inviter à envisager de participer à la semaine Laudato Si’, du 16 au 24.

LAUDATO SI WEEK DU 16 AU 24 MAI 2020 mai, qui coïncide avec la commémoration du transit de NP Santo Domingo. Nous proposons une « activité commune » à la région de l’Europe et du Moyen-Orient. Nous pouvons nous inspirer des propositions du site www.laudatosiweek.org . Une célébration de la foi, une neuvaine spécifique, des prières spéciales, une formation spécifique sur le thème, une formation en ligne, la promotion du soin de la culture de la vie, des relations fraternelles et de la relation avec l’environnement (avec des actions concrètes au niveau personnel et communautaire, etc.) Cette action commune en Europe et au Moyen-Orient est l’occasion de se joindre à une initiative de l’Église universelle. Nous sommes invités à la partager avec les autres entités et provinces.

Xabier et Marie

La mise en place de l’état d’urgence sanitaire pour lutter contre la pandémie de Covid-19 peut soulever, dans son application, un certain nombre de difficultés en termes de respect des droits et libertés.

La CNCDH a donc décidé de mettre en place un Observatoire de l’état d’urgence sanitaire et du confinement pour les recenser et produire des recommandations à destination des pouvoirs publics. A la lecture des informations reçues et à la suite d’échanges avec les associations œuvrant sur le terrain, la Commission est particulièrement inquiète de l’impact de la situation sur les enfants. Elle a donc décidé de consacrer cette deuxième lettre à la protection de l’enfance, confrontée à de nombreuses difficultés qui nécessitent la mise en place de mesures d’adaptation. Toutefois, si des dérogations doivent être prises, elles doivent être proportionnées et conformes au respect des droits fondamentaux.

DANS LE CONTEXTE ACTUEL DE LA LUTTE CONTRE LE COVID-19, ASSURER LA PROTECTION DE L’ENFANCE.

Le système public de protection de l’enfance, déjà sous tension depuis de nombreuses années, voit son travail quotidien lourdement entravé par les mesures de confinement en vigueur depuis quatre semaines. En France, plus de 300.000 enfants et jeunes majeurs sont pris en charge dans le cadre de la protection de l’enfance. Qu’ils soient maintenus à leur domicile ou séparés de leur famille afin de les protéger, ces enfants sont tous concernés par les mesures de confinement qui ne sont pas sans conséquence sur leur quotidien. Les foyers d’accueils sont confrontés à des situations très difficiles : maintenir pendant plusieurs semaines des enfants et des adolescents, dont certains en grande détresse, confinés, sans scolarisation, est un véritable défi pour les équipes, surtout dans un contexte de manque de personnel.

A cet égard, la CNCDH salue la décision du Gouvernement d’inclure, à compter du 23 mars, les professionnels de la protection de l’enfance dans la liste des personnels désignés prioritaires pour bénéficier de la garde d’enfants, afin de renforcer les équipes d’encadrement. Néanmoins, la Commission s’inquiète du manque d’équipement de protection disponibles, sachant que maintenir des distances physiques avec des enfants est illusoire. La protection des enfants et des personnels doit être assurée en fournissant tout le matériel nécessaire de prévention aux centres d’accueil et foyers. Les espaces réduits, surtout en milieu urbains, et dans certains cas la suspension des liens avec la famille pendant le temps du confinement, peuvent mener à des tensions et des violences. En raison de la fermeture des écoles, les éducateurs ont dû adapter leurs missions, ce qui a fait ressortir le manque de personnel formé à tous les besoins des enfants sous mesure de protection. Les troubles de l’anxiété de certains enfants peuvent être exacerbés par la situation et les foyers éprouvent des difficultés à assurer un suivi psychologique approprié, déjà lacunaire en temps normal. La situation des enfants ayant des troubles psychiques est à cet égard particulièrement inquiétante. La poursuite du confinement durant un second mois doit aussi se traduire par un soutien particulier des parents ayant un enfant handicapé.

La CNCDH tient à saluer la mise en place d’une enquête « Flash » de la DREES sur le fonctionnement des établissements et des services de l’aide sociale à l’enfance pendant la période de confinement. Elle aurait souhaité que les modalités du maintien du lien entre parents et enfants figurent parmi les thèmes étudiés. Elle invite le Gouvernement et les acteurs de la protection de l’enfance à être particulièrement attentifs aux résultats de cette enquête et à prendre les mesures qui s’imposeront après analyse. La CNCDH suivra également de près les conclusions de l’enquête et la mise en œuvre des mesures qui seront prises afin que les établissements de la protection de l’enfance soient mieux préparés à tout type de crise, notamment sanitaire. La Commission s’inquiète aussi de la discontinuité du service de la prévention et de la protection de l’enfance dans de nombreux départements. Le projet pour l’enfant(PPE), lorsqu’il est mis en place, peut dans ce contexte être un outil particulièrement utile pour assurer un suivi complet de l’enfant et de ses besoins. Le confinement  empêche les éducateurs d’effectuer leur suivi habituel à domicile, sauf en cas d’urgence. Bien qu’ils tentent d’adapter leur travail aux circonstances en maintenant des liens par téléphone, en prodiguant, par exemple, des conseils sur l’organisation de l’école à la maison ou en tentant d’apaiser des tensions, il est à craindre que ce suivi ne soit pas suffisant pour des familles qui se trouvent souvent dans des situations de vulnérabilité et d’isolement, et pour lesquelles les aides familiales sont leur seul lien social.

De plus, la suspension des mesures d’assistance éducative qui s’inscrivent sur un temps long, risque d’entraver fortement tout le travail déjà entrepris. Cette situation fait peser une responsabilité supplémentaire sur les éducateurs, qui doivent évaluer seuls des potentielles situations de danger à distance. La CNCDH estime que les personnels des services de prévention et de suivi devraient être dotés des outils de communication adaptés à un travail à distance. Par ailleurs, des informations claires doivent être disponibles pour les enfants, les familles, les familles d’accueil et les professionnels, notamment concernant les personnes référentes et les permanences pendant cette crise sanitaire. Les mesures de soutien assurées auprès des familles, le suivis des enfants en situation de handicap ou les suivis psychologiques des enfants doivent être maintenus voire renforcés, au besoin via les appels visiophoniques.

La CNCDH entend rappeler l’importance du maintien des liens familiaux, consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant et la Convention de européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale entend garantir le respect de certains principes : maintien des liens entre l’enfant et sa famille par tout moyen y compris un moyen de communication audiovisuel, suspension des droits de visite et d’hébergement par décision motivée du juge.

Malheureusement, il semble que cette ordonnance ne soit pas toujours respectée, compte tenu des dispositions prises par certains services sociaux depuis le début du confinement. Ainsi, il a été signalé que les droits de visite ont été remplacés, sans concertation avec les parents et les enfants, par des contacts seulement téléphoniques une fois par semaine, sans décision du juge et sans consultation préalable des parents et des enfants. Dans de nombreux départements, aucune mise en relation par des moyens audiovisuels ne paraît avoir été organisée de matière systématique.

La suppression des droits de visite, sans concertation avec les parents et les enfants, l’absence de recherches de solutions adaptées, portent atteinte aux droits fondamentaux découlant des textes internationaux, qui imposent la proportionnalité des mesures constituant des ingérences dans le droit de vivre en famille et la participation adéquate à ces mesures des parents et des enfants. Dans le cas de garde partagée des enfants le contexte du Covid-19 rend difficile le règlement des conflits entre parents. Des situations urgentes ne sont pas jugées comme telles, ce qui met les enfants dans des situations conflictuelles parfois dangereuses.

VEILLE JURIDIQUE

Respectons les droits des enfants et des parents dans la procédure judiciaire. L’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 donne la possibilité aux juges des enfants de se prononcer sans audience et sans recueil des observations des parties. Elle ne prévoit pas l’audition ou le recueil des observations de l’enfant alors même que l’enfant capable de discernement est partie à la procédure et que son droit à être entendu est un principe consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant. Pourtant, les décisions qui pourront être prises par les juges des enfants, sans contradictoire réel, et pour de trop longues durées, seront lourdes de conséquences : prolongation des mesures d’assistance éducative de plein droit jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire; renouvellements de mesures pouvant aller jusqu’à neuf mois pour les placements, un an pour les mesures de milieu ouvert, sur le fondement d’un rapport éducatif dont l’accès et la communication aux parties est encore plus compliqué qu’en temps normal.

L’état d’urgence sanitaire ne justifie pas une telle disproportion dans l’atteinte aux droits des parties. Par ailleurs l’accord écrit de l’un des parents, en l’absence d’opposition écrite de l’autre, peut permettre de reconduire le placement sans audience et audition des parents pour une durée qui ne peut excéder neuf mois. Aucune précision n’est apportée sur les conditions de recueil de cet accord, alors que s’agissant des personnes en situation de pauvreté, qui sont particulièrement vulnérables, ces conditions peuvent s’avérer décisives sur la sincérité de leur accord. Enfin, la CNCDH est particulièrement inquiète de la situation des enfants privés de liberté, dans un contexte où la protection contre l’épidémie n’est pas assurée en milieu carcéral, où l’accès à l’éducation et aux activités n’est pas maintenu, et les contacts avec les familles sont rompus.

Elle rappelle son inquiétude sur le recours extrêmement répandu à la détention provisoire pour les mineurs, alors que les mesures éducatives devraient primer, et au faible nombre de remises en liberté. Dans ce contexte, elle s’oppose à la prolongation de droit des détentions provisoires pour les mineurs de plus de 16 ans, prévue dans l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale.

MALTRAITANCE FAITE AUX ENFANTS : REDOUBLONS DE VIGILANCE.

Le confinement des familles peut représenter dans certaines familles un risque accru de violences intrafamiliales. La cohabitation constante qu’il impose est un facteur important de passage à l’acte pour un parent violent, ou de réitération de gestes violents de sa part. L’absence de scolarisation et d’activités extérieures limite les possibilités d’alerte et de signalement. Certains enfants ne croisent plus aucun autre adulte, alors que ces derniers peuvent le cas échéant signaler des violences constatées. Le risque de violences conjugales est lui aussi considérablement accru, et l’on sait combien celles-ci affectent les enfants de manière significative. La commission rappelle que pour les familles mal logées, le confinement se fait dans des conditions extrêmement difficiles (logement insalubre, surpeuplé, dépourvu de cuisine ou de salle de bain…). Ces familles devraient bénéficier d’un espace où sortir leurs enfants quelques heures par jour et leur déconfinement devrait être prioritaire. Il faudra aussi envisager un suivi psychologique pour les traumatismes qu’une telle situation ne manquera pas d’engendrer.

Dans ce contexte, la CNCDH salue le déclenchement du plan de continuité d’activités du service 119-Allo Enfance en Danger qui garantit un maintien de l’activité des écoutants, indispensable au repérage des situations de danger ou de risque de danger d’enfants. Il convient également de rappeler que chaque tribunal judiciaire a mis en place un plan de continuité d’activité, qui permet d’assurer le traitement des contentieux urgents etd’assurer la protection de tous les enfants. A ce titre, des permanences sont assurées dans les tribunaux pour enfants afin de prendre les mesures utiles de protection pour les enfants exposés à une situation de danger. La CNCDH tient à saluer la réactivation des campagnes de sensibilisation contre les violences et abus, incluant les violences éducatives ordinaires, par la diffusion massive des numéros d’urgence et plateformes d’informations (via les réseaux sociaux, radio, télévision, …). Elle invite le Gouvernement à poursuivre la diffusion de ces campagnes pendant toute la durée du confinement, en particulier les dispositifs d’accompagnement par tchat ou sms permettant un signalement plus discret que par téléphone.

Respectons les droits fondamentaux des mineurs non accompagnés

La situation des mineurs non accompagnés est extrêmement préoccupante. Beaucoup sont encore à la rue, en particulier chez les primo-arrivants qui ne savent pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide, beaucoup de structures associatives étant fermées. Il convient de mettre à l’abri tous les enfants à la rue (qu’ils soient non accompagnés ou pas) dans des centres d’accueil adaptés. A cette fin, les maraudes doivent être maintenues et les personnels équipés du matériel nécessaire de protection. Un hébergement sûr doit être immédiatement mis à la disposition de toute famille ou enfant vivant à la rue. Les associations spécialisées dans l’accompagnement des mineurs en danger devraient être soutenues par les institutions alors qu’elles craignent aujourd’hui ne pas recevoir les subventions attendues cette année du fait du Covid-19. Les jeunes non accompagnés en attente d’une évaluation de leur situation doivent être mis à l’abri. Si le ministère de la Solidarité et de la Santé a précisé aux personnels chargés de cette évaluation qu’une continuité d’activité doit être prévue en ce qui concerne les missions relatives à l’évaluation sociale de la minorité et de l’isolement ainsi qu’à la mise à l’abri, la CNCDH recommande d’insister en priorité sur la mise à l’abri et sur l’octroi d’un hébergement, comme l’a demandé la Cour européenne des droits de l’homme à la France le 30 mars dernier. La mise à l’abri concerne également les jeunes majeurs dont la continuité de la prise en charge doit être assurée au moins jusqu’à la fin de la crise sanitaire. La CNCDH rappelle que les conditions d’hébergement d’urgence sont inadaptées à un confinement qui dure : nourriture insuffisante et de piètre qualité, impossibilité de se faire des repas, manque de produits d’hygiène, surpopulation nuisant au respect des « gestes barrière », manque de moyens et d’outils pour suivre les cours à distance, parfois même interdiction de toute sortie des hébergements, en contradiction avec les consignes officielles.

Par ailleurs, la possibilité donnée par l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 de refuser une assistance éducative sans audience risque d’impacter de nombreux mineurs non accompagnés qui n’auront pas pu faire valoir leurs droits.

Enfin, malgré les mesures d’urgence votées par l’Assemblée nationale interdisant la sortie des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance des mineurs atteignant leur majorité, la CNCDH s’inquiète de continuer à recevoir des signalements selon lesquels des mineurs seraient remis à la rue le jour de leur majorité.

EN CONSÉQUENCE, LA CNCDH RECOMMANDE :

˿ L’application effective des plans de continuité de l’activité dans tous les services d’Aide sociale à l’enfance, assortie d’un référencement clair des personnes et services ou structures joignables, communiqués à tous les enfants, les familles et les professionnels concernés et accessible en ligne. Il conviendra d’adapter ces plans en fonction de l’analyse des résultats de l’étude de la DRESS.

˿ La fourniture de tout le matériel adapté à la mission des professionnels de l’enfance : matériel de protection (masques, gel hydroalcoolique, blouses, gants), mais aussi de télétravail et de communication avec les familles (téléphone et/ou tablette, ordinateur portable, intranet…), et l’augmentation des moyens (dans l’immédiat éventuellement en affectation temporaire de personnel  par exemple en faisant appel aux volontaires de 3e année d’études d’éducateur) des services d’aide sociale à l’enfance, à la hauteur des exigences qui pèsent sur eux.

˿ L’amélioration de l’accès aux activités pédagogiques à distance.

˿ Le maintien des liens familiaux des enfants placés en utilisant, notamment, les dispositifs audiovisuels.

˿ Le maintien du respect du principe du contradictoire dans les procédures devant le juge des enfants, quitte à avoir recours à des moyens de communication à distance.

˿ L’accélération des remises en liberté des mineurs incarcérés et l’arrêt de toute prolongation de détention provisoire sans audience devant le juge des liberté et de la détention.

˿ Envisager le déconfinement prioritaire des familles mal logées, avec une proposition de suivi psychologique et dans l’attente leur proposer un espace de sortie quelques heures par jour.

˿ L’application de la présomption de minorité et en conséquence la mise à l’abri de tous les mineurs ou supposés tels, sans condition ni procédure d’évaluation de l’âge, pendant toute la durée du confinement, et aucune remise à la rue.

˿ La prolongation systématique du délai pour déposer une demande de titre de séjour pour tous les mineurs étrangers ayant atteint la majorité durant le confinement.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), sous l’impulsion de son nouveau président, Jean-Marie Burguburu, met en place un observatoire de l’impact des mesures de l’état d’urgence sanitaire et des ordonnances « Covid-19 » sur le respect des droits fondamentaux.

La France traverse une crise sanitaire exceptionnelle qui met durement à l’épreuve son système de santé, comme les droits et libertés de chacune et chacun d’entre nous.

Les ordonnances de l’état d’urgence sanitaire

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, sur le projet de laquelle la CNCDH avait déjà eu l’occasion de s’exprimer, a habilité le gouvernement à prendre des mesures par ordonnances afin, notamment, de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la pandémie ainsi qu’à ses conséquences sur le fonctionnement de la justice. Dans le cadre de sa mission de contrôle du respect par la France de ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme, la CNCDH mène un travail d’analyse approfondi sur les ordonnances adoptées et leur mise en œuvre.

La CNCDH souligne le caractère essentiel de certaines mesures qui tiennent compte des difficultés pratiques auxquelles sont confrontées des catégories de personnes particulièrement vulnérables en prolongeant leurs droits : report de la fin de la trêve hivernale de deux mois, dispositifs d’aide aux sans-abri, prolongation de certains droits sociaux ou encore de la durée de validité des documents de séjour, etc.

Caractère provisoire

La CNCDH rappelle le caractère nécessairement provisoire de celles des mesures prises qui sont attentatoires aux droits et libertés fondamentaux. La période actuelle ne saurait servir de laboratoire d’expérimentation en vue d’une généralisation de mesures largement contestées, voire permettre la mise en place subreptice de telles mesures. Il importe aussi de s’assurer de la sortie de cet état d’exception dès que possible et de vérifier que la durée des mesures ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire.

Nécessité, proportionnalité, non-discrimination

Consciente du caractère inédit de la situation, de la difficulté à devoir y faire face dans l’urgence et de la nécessité de faire corps face à la pandémie, la CNCDH veille à ce que l’action des pouvoirs publics reste toujours nécessaire, proportionnée au regard des atteintes aux droits et libertés fondamentaux garantis par la constitution et les textes internationaux, et ne soit pas discriminatoire.

L’observatoire de l’impact des mesures sur les droits fondamentaux

Dans ce contexte si particulier, grâce à l’expertise et l’expérience de terrain de ses membres, la CNCDH met en place un observatoire de l’état d’urgence sanitaire qui a pour mission d’examiner en permanence l’impact des mesures prises par les pouvoirs publics sur le respect des droits humains et sur leur effectivité. La CNCDH entend ainsi recenser les difficultés constatées par ses membres issus de la société civile. Ces informations permettront de proposer des recommandations concrètes, ayant vocation à éclairer le gouvernement pour garantir les droits fondamentaux
de toutes et tous, et en particulier les personnes plus vulnérables.